Les résultats du CAC 40 ne reflètent pas la santé de l’économie française


22 février 2022

Les records tombent, les uns après les autres : jamais BNP-Paribas, LVMH ou TotalEnergies n’ont gagné autant d’argent. Au sortir de la plus grande crise économique de l’histoire, c’est à la fois paradoxal… et logique nous explique Sylvain Bersinger, économiste à BSI Economics et Asterès.

Les profits 2021 des entreprises du CAC 40 commencent à tomber, et ils sont à des niveaux historiquement élevés : avec 9,5 milliards pour BNP/Paribas, ou 12 milliards pour LVMH, on n’a jamais vu de tels chiffres. Comment les expliquer?

Ma première réflexion, c’est que l’on commente trop ces résultats financiers des grandes entreprises françaises, que ce soit pour s’en féliciter ou s’en indigner. On les compare trop à l’économie française en général, alors que les entreprises du Cac 40 sont avant tout des grandes entreprises mondiales, dont les activités sont essentiellement internationales: leurs résultats ne reflètent donc pas la santé de l’économie française, composée essentiellement de PME ou de TPE. Le Cac 40, c’est 5% des emplois du pays seulement, et il faut être prudent dans les généralités qu’on voudrait en tirer sur ce que vivent les salariés, ou sur les inégalités. Les grandes entreprises françaises annoncent des résultats records jusqu’à présent, car l’économie mondiale, qui est leur terrain de jeu, a bien rebondi, grâce aux plans de soutiens massifs décidés par les pays du monde entier et qu’il n’est donc pas étonnant que des entreprises internationalisées aient pu en profiter. La Chine a massivement soutenu son économie, via des programmes de travaux publics, et cela profite aussi aux ventes de sacs de Lvmh dans ce pays. En France et dans le reste du monde, l’économie reste sous perfusion publique, les faillites d’entreprises sont sous la moyenne des dernières années: en fait, toutes les entreprises se portent mieux que d’habitude, y compris le Cac 40.

Ce qui devrait donc relancer les polémiques sur les utilisations que font les grandes entreprises de leurs profits, notamment verser des dividendes élevés à leurs actionnaires…

Quand les entreprises préfèrent utiliser leurs profits pour verser des dividendes ou racheter leurs propres actions pour faire monter leur cours, l’économiste que je suis pense que cet argent serait plus utile s’il était investi dans de nouvelles activités, dans l’innovation ou l’accroissement des capacités, mais les dividendes sont indispensables et ils ne sont pas tous délirants: celui de LVMH représente 1,4% du cours de l’action, ce n’est pas un rendement exagéré. Le partage de la valeur entre actionnaires et salariés est une question difficile à traiter. D’abord parce que, rappelons le à nouveau, on ne peut déduire aucune généralité de la politique menée par le Cac 40. De plus, si on étudie le partage de la valeur ajoutée sur 30 ans, par les chiffres de l’Insee qui s’arrêtent à 2019, on voit une stabilité de ces indicateurs : la situation des salariés ne s’est pas dégradée par rapport aux actionnaires. La France reste « plutôt égalitaire”, plus que les USA ou le Japon. Le problème des inégalités se pose en fait ailleurs, sur le patrimoine: la bourse a beaucoup monté, le prix de l’immobilier aussi et ce sont donc les propriétaires d’actions et de logements qui sont bien plus riches aujourd’hui qu’il y a trente ans. J’ajouterai que même sur ce plan des inégalités, les plus-values boursières ne sont pas un problème social: quand Bernard Arnault, principal actionnaire de LVMH, s’enrichit en bourse, cela ne fait de mal à personne, alors que lorsque le prix du mètre carré s’envole, cela a des répercussions sur tous les habitants. En fait, le problème des inégalités, c’est avant tout celui de la valeur immobilière.

Pendant la crise, les Etats se sont endettés pour sauver l’économie, les citoyens devront rembourser ces dettes et on dirait que ce sauvetage a avant tout profité aux grandes entreprises

Il est indéniable que les entreprises privées ont profité des plans de relance publics, mais dans ce cadre, le cac 40 n’en a pas plus profité que les PME. En fait, tout le monde en a bénéficié, même les ménages: la pauvreté a d’ailleurs reculé aux USA pendant le Covid grâce aux aides distribuées par l’Etat fédéral. En France, on peut même dire que les PME ont plus profité des aides que le Cac 40, car elles ont eu des aides spécifiques. L’économie a été collectivisée pendant ces deux ans, l’Etat a épongé les pertes de tout le secteur privé; quel qu’il soit. Ce qui est en fait surprenant, c’est que cette crise et ce soutien public ont débouché paradoxalement sur une série de records boursiers. Personne ne s’y attendait. Et en fait, cette hausse des bourses est logique : les taux d’intérêts restent au plus bas, l’épargne des ménages a augmenté pendant le Covid – rien qu’en France, on a enregistré près de 300 milliards d’épargne non prévue par les modèles- et cette épargne s’est transférée entre autres sur des achats d’actions, qui ont fait monter les cours. 

Dettes d’un côté, profits de l’autre, comment cela va-t-il se terminer?

Comme pour toutes les crises précédentes ! Il y a d’abord un rebond mécanique, engendré par le soutien public, et c’est ce que nous visons en ce moment, puis les Etats vont retirer les aides progressivement, et on connaitra un temps d’arrêt. Les Usa commencent déjà le mouvement, ils veulent remonter leurs taux d’intérêts pour freiner l’inflation et la surchauffe économique. Cela devrait se traduire en Amérique par un ralentissement en 2022, et en Europe, en 2023. Il faudra accepter un retour à la normalité, avec plus de faillites, et une croissance ralentie pour un temps de s’activité et del’emplois. Les profits seront aussi moins bons, mais ce sera une situation plus saine. Et a priori, ça ne devrait pas être un drame en soi. 

Retrouvez cet article de Sylvain Bersinger pour Le Nouvel Obs : ici.

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