L’élection présidentielle vue d’Asie


Asie Présidentielle2017
19 mai 2017

Le Mékong entre gratte-ciel en construction et panneaux de propagande du Parti communiste – par Nicolas Bouzou

J’ai passé l’entre-deux tours en Asie du Sud-Est, formidable endroit pour vivre cette période à deux titres. D’une part, observer une élection à 10 000 km de Paris permet de mieux jauger de l’importance de l’enjeu de l’élection présidentielle pour le monde. D’autre part, c’est en Asie que « ça se passe ». L’Asie représentait moins de 10% du PIB mondial en 1980, et plus de 30% aujourd’hui. Le PIB par habitant y a été multiplié par plus de 20 en 30 ans et sa courbe continue de suivre une trajectoire exponentielle. Enfin, cette zone épargne et investit environ 40% de son PIB, ce qui signifie que sa croissance est loin d’être terminée.

Les dirigeants asiatiques se soucient peu de la France dont, en outre, ils comprennent mal les ressorts politiques. Pour eux, l’opposition entre protectionnisme et libéralisme telle que mise en scène dans notre débat de deuxième tour est surréaliste. En Chine, en Thaïlande ou au Vietnam, la politique économique n’est pas débattue. Le parti communiste (ou la junte militaire) fixe les grandes lignes d’un capitalisme autoritaire au libéralisme hémiplégique car seulement économique : liberté totale d’entreprendre, absence de droit du travail, soutien de l’État pour les secteurs jugés prioritaires, État-providence embryonnaire, fiscalité minimale et intégration progressive dans le commerce mondial. Pour ces Gouvernants et une grande partie de leurs opinions publiques, il n’est point besoin de débattre ces orientations puisqu’elles sont considérées comme limpides et efficaces. La logorrhée populiste anti-capitaliste d’une Le Pen ou d’un Mélenchon sont incompréhensibles dans les pays émergents. Mais le centrisme funambule et libéral d’un Macron l’est aussi. De ce point de vue, la civilisation asiatique et la civilisation européenne diffèrent encore. En réalité, si l’élection de Macron a été considérée comme une bonne nouvelle à l’Est, c’est pour une seule raison (fondamentale) : elle conforte l’Union Européenne et donne l’espoir d’une intégration de la zone euro plus aboutie. Les débouchés des usines asiatiques ont tout à gagner à ce renforcement de l’Europe.

Mais si les Asiatiques se soucient peu de nous, nous aurions tort de ne pas nous soucier d’eux, pour au moins trois raisons. Premièrement, comme je le rappelais, la croissance mondiale reste largement asiatique (le PIB par habitant devrait y progresser de 8% cette année). C’est particulièrement vrai dans les pays d’Asie du Sud-Est (notamment la Thaïlande et le Vietnam) qui bénéficient d’un important flux de délocalisation industrielles en provenance de Chine, où le coût du travail est devenu relativement élevé. Mais ces pays ont aussi en ligne de mire les services aux entreprises qui pourraient être externalisées par et au détriment des sociétés occidentales. Deuxièmement, une part importante de la géopolitique mondiale se joue là-bas. Moins en Corée du Nord qu’en mer de Chine. La Chine, en effet, souhaite sécuriser et contrôler ce qui constitue le point névralgique de la logistique mondiale. Pour ce faire, elle construit des ilots artificiels dans l’archipel des Paracels et celui des Spratleys, parfois aussi proches des cotes vietnamiennes que chinoises. Ce sont pour l’heure les États-Unis qui garantissent encore la circulation des marchandises dans cette zone mais la conjonction de l’isolationnisme américain et du nationalisme montant chinois ne laissent pas d’inquiéter, y compris de grands pays comme l’Australie, le Japon ou la Corée du Sud. Troisièmement, la Chine investit dans le monde entier, y compris en Afrique, pour instaurer de nouvelles « routes de la soie », qui lui permettront d’exporter partout dans le monde avec plus de fluidité qu’aujourd’hui.

La France et l’Europe feraient bien de consacrer un peu moins de ressources diplomatiques à l’épuisant bras de fer avec la Russie, au bénéfice des relations avec l’Asie. C’est en effet ce continent qui constitue le cœur des risques et des opportunités économiques et géopolitiques mondial aujourd’hui. Les Américains et les Africains semblent l’avoir compris. La France et l’Europe, on ne sait pas.

Publié le 10 mai 2017 dans L’Opinion