Le défi spatial


Cercle de Bélem Europe Newspace spatial
12 juin 2017

Thomas Pesquet jongle avec des macarons dans l’ISS, le 27 février 2017. ©afp.com/HO

 

L’histoire technologique et économique de l’humanité peut s’interpréter comme le résultat de la volonté des individus de lutter contre les deux grandes contraintes qui s’imposent à lui : le temps et l’espace. Notre temps sur terre est compté. Notre capacité à nous déplacer est limitée. L’homme se voulant l’être libre par excellence, il n’est pas étonnant que, depuis des milliers d’années, l’innovation ait été largement concentrée dans les domaines de la santé et des transports. Le siècle de Périclès fut celui de la première mondialisation et d’Hippocrate. Le XVIe siècle fut celui de Magellan et d’Ambroise Paré. La révolution industrielle fut celle des chemins de fer et de Pasteur. A chaque fois, il s’agit de vivre plus longtemps, de se déplacer plus vite et plus loin. Rien d’étonnant donc à ce que, aujourd’hui, les dirigeants des entreprises les plus innovantes de la Silicon Valley ou d’Asie nous parlent de fin du cancer, de transhumanisme, d’immortalité, de trains supersoniques ou de conquête spatiale.
Le spatial : nouveau terrain de jeu des start-ups

Le spatial devient en effet un secteur économique qui se normalise, raison pour laquelle il pourrait être la vedette du salon du Bourget cette année. Cette mutation a deux origines. D’une part, depuis la deuxième partie des années 2000, la NASA a décidé de faire appel au secteur privé, en particulier pour ravitailler la Station Spatiale Internationale. D’autre part, les progrès technologiques exponentiels réalisés dans l’informatique, l’électronique et, dans une moindre mesure, dans l’énergie, depuis plusieurs décennies ont permis une amélioration considérable du rapport qualité / coût des lancements spatiaux. C’est grâce à cette « désétatisation » de l’espace et à ce changement de paradigme technologique que des start-ups comme SpaceX d’Elon Musk ont pu innover, notamment grâce aux lanceurs réutilisables. Aux États-Unis, ce sont désormais des milliards de dollars qui sont apportés chaque année par le capital investissement dans ce secteur du « newspace ».
L’espace : avenir économique de l’Europe

Il faut bien comprendre ce que signifie économiquement l’utilisation de lanceurs réutilisables. Imaginez qu’un Airbus A320 ne soit utilisé qu’une seule fois. Le prix d’un billet Paris-Toulouse serait au moins de 200 000 euros. Il est aujourd’hui possible de s’envoler pour quelques dizaines d’euros. La chute du coût des lancements spatiaux grâce aux lanceurs réutilisables promet une expansion colossale des envois de satellite et générera des applications inimaginables aujourd’hui dans l’agriculture, la lutte contre le terrorisme ou le développement durable. Longtemps, cette révolution des lanceurs réutilisables n’a pas été prise au sérieux par les dirigeants européens, à quelques exceptions près comme le dynamique Président du Centre National d’Études Spatiales Jean-Yves Le Gall. Disons-le clairement : notre technostructure a fait preuve vis-à-vis d’Elon Musk d’un grand mépris, tenant pour acquis que cet entrepreneur fantasque ne pouvait pas menacer une institution comme Arianespace. Mais aujourd’hui, l’Europe semble être convaincue du fait que, dans l’espace, se joue une partie de l’avenir économique du continent. Heureusement, notre retard n’est ni irrattrapable ni général. Nous sommes par exemple en pointe dans la production de satellites à propulsion électrique.
La conquête spatiale, instrument de soft power

Le défi spatial n’est pas seulement économique. Il est aussi géopolitique et civilisationnel. Il est géopolitique car le spatial est un instrument de soft power qui reflète bien les nouveaux rapports de force issus de la mondialisation. Une soixantaine de pays disposent aujourd’hui d’un programme spatial ! Mais le sujet est aussi civilisationnel, surtout pour nous, Français. L’opinion publique s’est passionnée pour le départ de Thomas Pesquet vers la Station Spatiale Internationale en novembre et nul doute qu’elle se passionnera pour son retour sur Terre. Ce n’est pas innocent. Les vieux pays ont besoin qu’on leur serve des projets d’avenir, qui réconcilient l’innovation technologique avec le sens. La conquête spatiale est une affaire technologique et économique mais pas seulement. Elle nous interroge sur ce que nous sommes (plutôt humains ? Plutôt terriens ?) et sur ce que nous voulons faire. Ainsi, les astronautes sont unanimes à expliquer que, vue d’en haut, l’écosystème terrestre semble fragile et les frontières artificielles. Lutte contre le réchauffement climatique ; résistance aux nationalismes : voilà de superbes projets politiques qui incarnent la civilisation européenne.

 

Article publié dans L’Express du 31 mai 2017