La Tribune / Blablacar et Airbnb : le partage est le nouveau stade du capitalisme


4 novembre 2015

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L’économie du partage est marchandisée. Loin des idéaux post-capitalistes de la collaboration entre pairs, Blablacar, Airbnb et consorts ont créé un nouveau modèle ultra-compétitif. Ces plateformes d’économie du partage s’inscrivent ainsi dans la droite ligne de l’histoire du capitalisme.

Pour parler en marxiste, cette économie (marchande) du partage accentue encore la profitabilité du capital : un particulier utilise sa propriété personnelle (voiture et logement principalement) pour fournir un service payant à un autre particulier (conduite et hébergement en l’occurrence). Quand le prix du trajet en covoiturage baissait auparavant avec le remplissage de la voiture, il est fixé par passager sur Blablacar. Le revenu augmente avec le nombre de voyageurs : adieu la logique initiale de partage des frais, bienvenue dans la prestation de service.

Airbnb, Blablacar et feu-UberPop s’inscrivent dans la continuité historique du capitalisme : une innovation technologique fait émerger de nouveaux services qui étendent la sphère marchande à des îlots de gratuité ou d’informalité. Blablacar, Airbnb et UberPop ont étendu, simplifié et monétisé l’autostop, l’échange de logement et le partage de conduites. D’informelles et marginales ces pratiques ont accédé à l’ampleur d’un marché et impliquent désormais une transaction financière.

Les plateformes d’économie marchande du partage poussent à un nouveau degré le low cost. La logique Ryanair ou Lidl est simple : réduire le travail de l’entreprise et augmenter l’action du particulier. L’idée se répand dans tous les secteurs, le client scanne ses articles et remplace la caissière, rempli son réservoir d’essence et se substitue au pompiste, sélectionne sa place dans l’avion et court-circuite le tour opérateur. Le numérique pousse la logique au maximum : des particuliers créent un service (pour Airbnb ou Blablacar), un contenu (pour Youtube ou Facebook), un produit (pour les applications Apple) que la plateforme va monétiser.

L’immense avantage de la production par le particulier est l’absence de normes et d’obligations sociales : le geek qui crée une application Apple peut travailler la nuit, le conducteur Blablacar ne doit pas faire de pause, le logement Airbnb n’est pas aux normes handicapées. Les particuliers se rémunèrent eux-mêmes et ne sont donc pas soumis à charges sociales. Les plateformes numériques réalisent donc le rêve de beaucoup d’entreprises, s’octroyer un choc de simplification et une baisse de charges qui dépassent (largement) toutes les (maigres) tentatives gouvernementales.

Rentabilité du capital, création de nouveaux marchés, externalisation vers les particuliers, choc de simplification et suppression des charges, l’économie marchande du partage constitue un nouveau degré du capitalisme. Pour compléter ce business model ultra-compétitif, les plateformes véhiculent (à juste titre) une image de lien social retrouvé.

Comme pour chaque nouveau modèle capitaliste, la productivité augmente et l’offre se démocratise. Tant mieux. Les concurrents traditionnels se plaignent et les institutions publiques tentent d’imposer le modèle social. Normal. A Paris, Airbnb collecte dorénavant la taxe de séjour pour le compte de la ville. Un moment politique apparaît : en appliquant progressivement notre cortège de normes à ces nouveaux modèles, l’occasion est belle de les alléger pour l’ensemble des acteurs. Le capitalisme à encore changé, aux institutions d’évoluer.