Hommage à Mary Shelley : Frankenstein et l’Intelligence Artificielle


intelligence artificielle
28 août 2016

Il y a deux siècles, au début de l’été 1816, Mary Shelley, Percy Shelley et Lord Byron résidaient à proximité de Genève dans la villa Diodati. La pluie battait les carreaux et le temps était trop froid pour les promenades. Le groupe lisait des romans gothiques, composait des poésies et échangeait sur la science, en particulier sur les écrit d’Erasmus Darwin, grand père de Charles, archétype de l’esprit universel des lumières. Le climat intellectuel de 1816 n’était pas très différent de celui de 2016. Le monde était au bord d’une mutation technico-économique sans précédent depuis la Renaissance, celle du charbon et de la vapeur et qui, les guerres napoléoniennes terminées et le libéralisme économique installé, allait générer une vague de prospérité inédite. Aujourd’hui, l’émergence des nanotechnologies, de la robotique, de la génétique ou de l’intelligence artificielle sont porteurs de promesses immenses, dans la santé, le développement durable ou la mobilité. Simplement, 1816 comme 2016 sont des « entre-deux ». Les scientifiques connaissent ces mutations mais le grand-public ne les voit pas car leurs effets positifs ne sont pas encore tangibles.

Les Shelleys et Byron percevaient bien ce qui était en train d’advenir : la matérialisation de la rationalité des lumières en progrès technico-économique. Quand il est question d’occuper le temps en écrivant des histoires de fantômes, Mary, à seulement 19 ans, commence la rédaction de Frankenstein. Victor Frankenstein donne la vie à une créature d’apparence monstrueuse mais dotée de sentiments humains. Esseulée, la créature demande à son géniteur d’en concevoir une seconde dont la compagnie lui rende la vie supportable. Frankenstein refuse d’enfanter un deuxième monstre potentiellement aussi dangereux que le premier et s’expose aux vengeances de sa progéniture. C’est ainsi que ce roman ouvre des perspectives éthiques abyssales plus actuelles en 2016 qu’en 1816. Les ingénieurs prévoient d’ici 2050 l’avènement d’une intelligence artificielle forte (supérieure à un cerveau humain). Le débat se concentre sur la régulation d’une telle intelligence artificielle et sur le moyen de permettre à l’homme de la désactiver quand il le souhaite. Mais le roman de Shelley va plus loin : quelle est la légitimité de l’homme pour mettre en place une intelligence artificielle forte ? Dans quel but ? Quel statut -humain ou non – et donc juridique conférer à une intelligence artificielle forte ?

Poser ces questions est nécessaire. C’est en ce sens qu’Elon Musk finance Open IA, un projet destiné à éviter que l’intelligence artificielle soit concentrée dans de mauvaises mains. Mais ces questions doivent aboutir à des régulations et non des interdictions. Car le balancier idéologique penche aujourd’hui dans le sens inverse du 19ème siècle. Le pêché des lumières, c’était la foi absolue dans la raison humaine. Le pêché de notre époque, c’est la défiance face au progrès et la prédominance des peurs.

Hommage au Frankenstein de Mary Shelley a été publié par la Tribune de Genève le 24 août 2016.