Grèves, incendie, pannes : la France devient-elle un pays sous-développé en transports ?


8 août 2018

Des vacanciers sur le quai de la gare Montparnasse, après l’incendie qui a perturbé le trafic fin juillet. GERARD JULIEN/AFP

 

Incendie de la gare Montparnasse, panne de la ligne 1 du métro parisien, arrêt de l’Autolib’, dysfonctionnements chez Air France : l’été 2018 aura montré que la France devient un pays sous-développé en matière de transport. Tout ceci est très agaçant en période de vacances. Mais cela risque de devenir franchement problématique après la rentrée. Ces dysfonctionnements rappellent en outre que le « France is back » brandi par les admirateurs du président de la République n’est pas encore tout à fait matérialisé dans la réalité.

D’un côté, nos vieux équipements sont engorgés et fonctionnent de moins en moins bien. J’invite quiconque en douterait à emprunter la ligne A du RER un matin vers 8 heures pour en juger. De l’autre, en dépit de leurs leçons moralisantes sur l’innovation et l’écologie, nos pouvoirs publics n’ont pas investi dans les nouveaux moyens de transport en dehors de certaines grandes villes comme Bordeaux. Il est d’ailleurs piquant d’observer que Paris la ville et Paris le centre de l’État est toujours encline à donner des leçons de modernité et de saine gestion à des collectivités locales qui, malgré des contraintes financières croissantes, se débrouillent mieux que la capitale. Notre capitale semble avoir fait le choix de devenir un centre de loisir pour bourgeois oisifs qui se coupe de sa banlieue plutôt qu’une métropole dynamique qui intègre des populations venues de toute la France, ce qui fut pourtant sa vocation au cours de sa longue histoire.

Sans déplacement fluide, il n’est point de croissance et point d’émancipation. Je sais bien que la vulgate romantique à la mode voudrait que l’on soit bien sur ses terres, que l’on n’en bouge pas trop et qu’on se nourrisse de denrées alimentaires produites localement. C’est fort sympathique mais la réalité anthropologique des humains, c’est qu’ils sont faits, non pour demeurer chez eux, mais pour se déplacer. Freiner la mobilité a les mêmes conséquences que placer des barrières à l’entrée sur le marché du travail. C’est exiger des plus fragiles d’entre nous qu’ils restent en dehors de l’économie et de la société moderne. Ce problème prend une acuité nouvelle avec le développement de l’économie du numérique, de la robotique et de l’intelligence artificielle. En effet, cette mutation technologique génère spontanément une « métropolisation » du monde qui modifie les exigences de transport. Aujourd’hui, tout doit être fait pour fluidifier les déplacements à l’intérieur des métropoles, pour améliorer les connections des métropoles et des banlieues, et pour améliorer la circulation entre les métropoles. Les déplacements entre les villes et les campagnes peuvent être assurés plus classiquement sur des routes bien entretenues. Se déplacer en trottinette est très plaisant quand on habite le Ve arrondissement parisien mais cela ne va pas aider les gens du Val-de-Marne qui travaillent à Roissy et qui doivent récupérer un enfant à heure fixe à la crèche. Les Français ont besoin de métros et de tramways qui fonctionnent parfaitement, de TGV qui partent et arrivent à l’heure et qui, si possible, soient à peu près propres, et d’avions qui ne sont pas annulés à la dernière minute.

Les difficultés françaises en matière de transport sont dues à deux problèmes : un problème de sous-investissement d’abord ; un problème de gouvernance ensuite. D’abord, notre politique d’allocation de la dépense publique reste incroyablement court-termiste et, pour l’instant, l’action de la majorité actuelle s’est avérée plus que décevante. Aucune réforme de l’État (en particulier du statut de la fonction publique) n’est commencée, qui permettrait de dégager des marges de manœuvre budgétaires pour réinvestir dans les infrastructures. La majorité aurait pu également utiliser la suppression de la taxe d’habitation pour proposer aux collectivités locales de nouveaux modes de financement, par une fiscalité locale revue (avec des impôts à taux plus faible et base plus large) mais aussi en élargissant la possibilité de faire appel à des financements privés pour investir dans la ville intelligente et les « transport propres ». Les collectivités locales ont besoin d’être responsabilisées, y compris en leur laissant davantage de marges de manœuvre normatives, par exemple pour définir les conditions d’accueil des transports sans chauffeurs qui vont arriver assez rapidement. Ensuite, le bon fonctionnement de nos transports est paralysé par des systèmes de gouvernance inefficaces, au niveau des pouvoirs publics (regardez le monstre de complexité qu’est devenu le Grand Paris) comme des entreprises. La réforme de la SNCF opérée par le gouvernement devrait progressivement faire de cette société une entreprise « normale » où la grève n’est pas le seul instrument de la négociation sociale et où un management intermédiaire pléthorique ne vient plus freiner chaque velléité de changement. Il faut maintenant s’attaquer au dossier Air France. La compagnie a dû annuler cet été plus de vols que les années précédentes en raison de « tensions pilotes ». Les grèves insensées depuis février ont en effet ralenti le rythme des formations, ce qui a empêché certains salariés de revoler depuis juillet. Il est temps que l’État mette de l’ordre dans cette compagnie, déjà en nommant un entrepreneur qui mettra en place une vision stratégique et non un haut fonctionnaire, ensuite en sortant du capital de cette entreprise dans laquelle il n’a plus rien à faire. Vu les impôts qu’ils paient, les Français ont bien le droit de se déplacer dans de bonnes conditions. Que l’État et ses entreprises publiques, si donneuses de leçon dans notre pays antilibéral, montrent qu’ils sont capables, si ce n’est de prévoir l’avenir, au moins d’assurer le présent.

 

Tribune publiée dans le Figaro du 3 août 2018