Entretien – « Nous vivons une période de mutation profonde de l'infrastructure immobilière »


modulaire
19 décembre 2014

Entretien avec Charles-Antoine Schwerer publié dans Evolutif, le magazine d’Algeco. Lire l’entretien en ligne.

Quel état des lieux de la construction en France peut-on dresser aujourd’hui? Sommes nous face à un simple fléchissement ou au « point mort »?

Fléchissement, point mort, crise, catastrophe, utilisons les termes que l’on veut, ils recouvrent la même réalité : nous construisons trop peu ! A fin septembre 2014, les mises en chantiers de logements depuis un an s’élevaient à 302 000 alors que l’objectif gouvernemental est de 500 000.

Tous les secteurs (résidentiel, non-résidentiel, travaux publics) sont-ils impactés? Des disparités régionales existent-elles?

Oui, tristement, tous les secteurs sont concernés, mais pour des raisons différentes. Le logement souffre du manque de demande, lié à la stagnation du pouvoir d’achat, au chômage de masse et à l’inconnu face à l’avenir. Le non-résidentiel souffre lui de la faible croissance économique et de la tentative de baisse des dépenses publiques. Les entreprises investissent peu, les pouvoirs publics n’investissent plus ! Les mises en chantiers de locaux ont baissé de 5% sur un an. Enfin les enquêtes de l’Insee sont claires : l’activité dans les Travaux Publics baisse fortement depuis le 2nd trimestre 2013. Les grands chantiers lancés il y a plusieurs années se terminent et aucun nouveau ne prend le relais.

La crise est-elle la seule cause de cette phase baissière? Des facteurs structurels expliquent-ils la difficulté récurrente à soutenir la construction?

La notion de « crise » revêt déjà elle-même deux aspects. La crise économique mondiale liée à la tempête financière de 2008, où confluent des causes structurelles et conjoncturelles. Et la crise européenne des finances publiques, qui relève d’une logique structurelle. La baisse de l’investissement public, facteur structurel des difficultés dans le BTP, est donc en lien direct avec ce que nous nommons « la crise ».

Il existe par ailleurs de nombreux blocages législatifs et institutionnels, notamment sur le marché résidentiel. L’accumulation de normes augmente les coûts et allonge le temps de la mise en chantiers. La gestion des Plans locaux d’urbanisme par les communes limite fortement la densification car les maires n’ont pas intérêt à construire. Pour densifier il faudrait transférer les PLU aux régions.

Y aurait-il selon vous d’autres pistes à explorer pour relancer la construction?

Bien sûr ! En avril, une entreprise chinoise, Winsun, a construits dix villas dans Shanghai en utilisant une imprimante 3D et des matériaux recyclés. Coût d’une villa : 3 500 euros. Temps de construction : 24h.

Pour bien comprendre l’avenir du secteur de la construction, il convient d’avoir à l’esprit un fait majeur : nous vivons une période de mutation profonde de l’infrastructure immobilière. A chaque phase d’innovation, les découvertes techniques se matérialisent en mutation immobilière et permettent des gains de productivité. Avec l’apparition de l’électricité, un certain Monsieur Otis a pu commercialiser son premier ascenseur en 1853, on a inventé les gratte-ciels et des quartiers d’affaires sont apparus. Derrière ont suivi des gains de productivité liés à ce que les économistes nomment des « effets d’agglomérations ».

La phase actuelle correspond à l’une de ces périodes de mutation profonde. Regardez le rôle économique du domicile. Il est déjà devenu bureau avec le télétravail (17% des français chaque semaine !), hôtel avec AirBnB, supermarché avec la vente en ligne. Demain il sera chambre d’hôpital avec la télémédecine, producteur d’énergie avec le renouvelable et producteur tout court avec l’imprimante 3D. L’ensemble de notre infrastructure immobilière mute en conséquence : les magasins, les bureaux, les hôpitaux, les usines doivent s’adapter pour devenir plus productifs. Tout cela à la suite d’innovations technologiques (internet et les énergies renouvelables en premier lieu). Ces mutations créent des perspectives formidables dans le secteur !

Quel rôle pourrait jouer la construction modulaire dans ce mouvement? Apporte-t-elle des solutions viables et crédibles?

Le modulaire a un rôle moteur à jouer, et ce pour deux raisons. En premier lieu, sa rapidité d’action. Ces phases de mutation impliquent d’agir à la fois vite et à grande ampleur. Martin Hirsch, directeur général des Hôpitaux de Paris affirmait ainsi récemment que nous allions vers des « hôpitaux sans lits », il va donc falloir modifier toute l’infrastructure hospitalière ! Seul le modulaire permet d’installer rapidement une nouvelle infrastructure immobilière.

Le deuxième aspect clef c’est l’adaptabilité. Prenons à nouveau l’exemple du domicile. Puisqu’il est à la fois logement, bureau, hôpital, on devrait pouvoir changer une pièce pour une autre. Lorsqu’un enfant part du foyer on doit pouvoir transformer son ex-chambre pour en faire une pièce médicalisée et accueillir un parent ! Ou lorsqu’un enfant naît, redéfinir la taille de chaque pièce pour rajouter une chambre. Seule la construction modulaire peut permettre ce type de mutation. Il est formidable d’imaginer des logements composés de modules, qui permettraient, avec quelques travaux, de s’adapter rapidement.

La construction modulaire a donc des atouts majeurs pour être moteur de ces mutations. Elle fait aussi face à un défi : elle doit considérablement monter en gamme. Pour faire de bons modules demain, il faudra y intégrer des énergies renouvelables ou des équipements de télémédecines. Nos constructeurs modulaires doivent devenir des pros de l’innovation !