En sortant de l’UE, le Royaume-Uni perd sa souveraineté


21 décembre 2017

Le Royaume-Uni sort affaibli du référendum de juin 2016 sur le Brexit. afp.com/Justin TALLIS

 

J’imaginais que le Brexit ne servirai pas les intérêts britanniques à long terme et, si j’avais été anglais, j’en aurai été malade. Mais la réalité se révèle bien pire. Jour après jour, le Brexit tourne au drame pour les Britanniques. Un drame dont, en outre, on ne voit pas la fin. Les indicateurs macroéconomiques du pays, même s’ils se dégradent, reflètent peu les problèmes de fond que pose la sortie de l’UE. Les brexiters pensaient que la sortie de l’UE pouvait affecter l’économie britannique à court terme mais qu’il fallait l’envisager comme un investissement à long terme. C’est l’exact inverse qui est vrai.

Comment une grande nation a-t-elle pu se mettre seule dans une position si difficile

Les difficultés britanniques sont partiellement liées au fait que les négociations sont menées, au nom de l’Union, par Michel Barnier, avec une grande fermeté. Le fait de subordonner l’ouverture des négociations sur l’accès du Royaume-Uni au marché unique européen à la conclusion des négociations sur la mobilité des personnes, le statut de la frontière entre les deux Irlandes et le chèque de sortie place une immense pression sur les Britanniques. Les représentants des entreprises d’outre-manche font le siège du Parlement et du gouvernement pour que débutent ces négociations sur le marché unique qui les angoissent tant et à juste titre : près de 50% des exportations britanniques sont à destination de l’Union Européenne ! Alors qu’elles commerçaient de fait dans une zone de libre-échange, les entreprises britanniques sont maintenant sous le joug d’une négociation dans laquelle leur pays est en position de faiblesse. Mais comment une grande nation a-t-elle pu se mettre toute seule dans une position aussi difficile ? Mystère de la démocratie…

La mondialisation n’est plus seulement celle des échanges, elle est désormais celle des chaines de valeur

Au-delà des négociations, la sortie du Royaume-Uni de l’Union montre que, dans notre économie globalisée, il n’est plus de « souveraineté réelle » sans « souveraineté partagée ». A cet égard, les brexiters intelligents (pas les populistes à la Nigel Farage) se sont trompés d’époque. Ils ont considéré que, délivré des contraintes de l’Union Européenne, leur pays allait pouvoir recouvrer une totale liberté de manœuvre dans sa politique économique. Certains de mes amis libéraux sont tombés dans ce panneau. Ils ont rêvé que le Royaume-Uni pourrait déréglementer et baisser les impôts à l’envi, faisant du pays un Singapour ou une Suisse en grand. Cette idée aurait pu faire sens avant le renforcement de la mondialisation au tournant des années 1990 et 2000. Depuis lors, ce sont les grandes entreprises elles-mêmes qui sont devenues mondiales. La mondialisation n’est plus seulement celle des échanges. Elle est désormais celle des chaines de valeur. C’est la raison pour laquelle les règles commerciales, les normes, les standards réglementaires doivent être le plus souvent possible décidés sur une base multilatérale. Les pays qui veulent peser doivent donc être, soit naturellement puissants (c’est le cas de la Chine et des Etats-Unis), soit intégrer des ensembles qui le sont par construction (c’est le cas de l’Union Européenne). En nous tournant le dos, le Royaume-Uni passe du statut de rule maker dans le cadre de l’Union, à celui de rule taker.

Des personnalités politiques come Nick Clegg ou Tony Blair veulent croire qu’un retour en arrière est possible. Tony Blair estime que l’accord de sortie avec l’Union Européenne sera si mauvais qu’il ne pourra pas être ratifié par le Parlement. In fine, Blair pense que son pays pourra rester dans une Europe réformée. Mais ce retour se ferait nécessairement aux conditions des Vingt-Sept. Quelle que soit la façon dont on aborde le problème, le Royaume-Uni sort affaibli du référendum de juin 2016. Qu’au moins cela puisse servir de leçon à nos souverainistes qui pensent que la France serait plus grande et plus libre sans les chaînes de l’Europe.

 

Article publié dans L’Express le 8 décembre 2017