Pas de « politique du pouvoir d’achat »


7 mars 2018

 

Il n’est pas rare d’entendre affirmer que le Président de la République a décidément de la chance. Après l’incroyable alignement des étoiles politiques qui a conduit à son élection, il bénéficie désormais d’une excellente conjoncture économique internationale et tire les bénéfices des rares bonnes décisions prises sous le quinquennat précédent, notamment le CICE et le pacte de responsabilité. De fait, la croissance de l’économie française dépassera 2% cette année et le taux de chômage, qui vient de passer sous les 9% de la population active, va encore reculer. La majorité serait-elle à ce point vernie ? Le penser serait faire l’impasse sur tout ce que l’histoire politique et économique peut nous enseigner. C’est très exactement dans ce type de périodes que les oppositions les plus farouches se réveillent. Pour deux raisons.

Premièrement, la croissance mondiale est aujourd’hui pour l’essentiel tirée par l’innovation. Le numérique, la robotique, l’intelligence artificielle génèrent de nouvelles activités, de nouveaux emplois mais font disparaître des pans entiers de l’économie qui sont technologiquement obsolètes. Les individus qui sont du mauvais côté de cette destruction-créatrice restent rarement tranquilles et se satisfont peu des bons chiffres d’une croissance dont ils ne bénéficient pas. Pendant la révolution industrielle, les luddistes britanniques, les canuts lyonnais et même, avant eux, les révolutionnaires français en constituent d’éclatants exemples. Deuxièmement, les phases de reprise économique raniment la bataille pour la captation de la valeur. Quand l’économie navigue entre 0 et 1% de croissance, chacun sent bien qu’il est peu légitime à réclamer une amélioration de sa situation matérielle. Entre 2008 et 2017, le PIB par habitant, en France, a été quasi-stable. Il n’y avait rien à réclamer. La reprise actuelle change la donne. En 2018, les entreprises vont quémander des baisses de charge, les pouvoirs publics voudront réduire leur dette, les bénéficiaires d’allocations vont exiger des aides supplémentaires et les salariés vont demander des hausses de salaire. Toutes ces exigences contradictoires vont bruyamment se manifester.

Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que l’on reparle de pouvoir d’achat. Sur ce sujet, trois remarques s’imposent. D’abord, le pouvoir d’achat a peu augmenté ces dix dernières années, de l’ordre de 1,5% par unité de consommation. C’est certes faible mais supérieur à la croissance du PIB. Ainsi, contrairement à ce qui est asséné à longueur de médias, le partage de la valeur ne se réalise pas systématiquement au détriment des individus. La France n’est pas un pays anglo-saxon. Ensuite, la langueur du pouvoir d’achat est liée à celle des revenus et non aux augmentations de prix. L’inflation est faible dans notre pays et, d’après les travaux de Philippe Aghion, elle est même sans doute surestimée dans la mesure où les statistiques peinent à intégrer les innovations.

Enfin, il n’existe que trois manières d’augmenter le pouvoir d’achat : la croissance, les gains de productivité et l’emploi. Il n’existera jamais de « politique de pouvoir d’achat » en tant que telle. Supprimer les charges sur les heures supplémentaires ou faciliter l’intéressement des salariés constituent des mesures ponctuellement utiles. Mais je déconseille fortement au gouvernement de les survendre, comme il l’a fait en début d’année avec la suppression de certaines cotisations salariales. C’est en facilitant l’investissement de modernisation dans nos entreprises, en flexibilisant le marché du travail, en améliorant la formation initiale, en révolutionnant la formation continue que l’on pourra relancer durablement le pouvoir d’achat. Toute autre mesure ne s’attaque pas à la racine du problème et risque d’accentuer les frustrations.

Article publié dans L’Express le 28 février 2018