Contre cette chape de plomb dépressive, anti-libérale et nationaliste


15 janvier 2017

CES, le principal salon dédié aux nouvelles technologies se tenait à Las Vegas. Crédits photo John Locher/AP

Le débat public est depuis quelques semaines saturé par une chape de plomb dépressive, anti-libérale et nationaliste qui ne comprend pas que c’est la peur qu’elle alimente qui nous fait courir des risques insensés. Cette chape de plomb est dépressive tant elle fait courir le bruit que ce monde qui vient est horrible, qu’il faut le craindre et que notre civilisation risque d’en sombrer. Cet effet d’optique courant dans l’histoire (chaque génération pense qu’elle vit moins bien que la précédente) repose une fois de plus sur des impressions et non sur des faits.
Que ceux qui pensent que c’était mieux avant se documentent ou fassent soigner leur dépression, mais qu’ils s’abstiennent de propager de fausses informations.

Il existe néanmoins une différence aujourd’hui, qui enlève toute excuse à ceux qui profèrent ces sottises, c’est qu’il existe une littérature abondante et précise sur l’état du monde, disponible à ceux qui veulent se donner la peine de fournir un travail sérieux. Ainsi, Max Roser, Johan Norberg, Steven Pinker ou le prix Nobel d’économie Angus Deaton montrent à longueur de livres et d’articles que les indicateurs d’espérance de vie, de qualité de l’alimentation, d’accès à l’eau, de pauvreté extrême ou d’analphabétisme n’ont jamais été aussi favorables qu’aujourd’hui. De même, et c’est peut-être moins intuitif, notre planète a rarement été aussi sûre. Le taux d’homicide est très bas et la plupart des pays sont des démocraties. En Europe occidentale, il y a moins de morts du terrorisme que dans les années 1970 ou 80. Que ceux qui pensent que c’était mieux avant se documentent ou fassent soigner leur dépression, mais qu’ils s’abstiennent de propager de fausses informations. Les mêmes nous expliquent par ailleurs que, si c’était mieux avant, ce sera bien pire demain. Qu’ils aillent donc échanger avec des cancérologues qui, grâce à l’alliance de la recherche publique, des laboratoires honnis et de notre Etat-providence mettent en place des stratégies thérapeutiques pour des pathologies comme le mélanome métastasique contre lesquels il n’existait aucun traitement il y a encore 5 ans et qui, dans quelques années, deviendront chroniques voire curables.
Cet antilibéralisme se conjugue parfois à un relent anti-américain qui brandit pêle-mêle l’ubérisation ou le transhumanisme comme des menaces mortelles pour la France.

Cette chape de plomb est également anti-libérale, ce qui ne manque pas de piquant dans un pays où la dépense publique représente 57% du PIB, les prélèvements obligatoires 45% et où la protection de l’emploi est l’une des plus strictes de l’OCDE, avec les conséquences qu’on connait. Que nos anti-libéraux soient rassurés, même après une présidence Fillon, la France ne sera pas un pays libéral mais peut être un pays plus «normal» où l’on aura au passage fait baisser le taux de chômage, lequel n’est pas lié à la Silicon Valley, à Milton Friedman ou aux négociations sur le traité transatlantique, mais à notre propre incapacité à faire des réformes simples qui ont fonctionné ailleurs. Cet antilibéralisme se conjugue parfois à un relent anti-américain qui brandit pêle-mêle l’ubérisation ou le transhumanisme comme des menaces mortelles pour la France. Peut-on faire remarquer que 25% des chauffeurs Uber étaient au chômage avant d’exercer et qu’ils viennent souvent de banlieues où la multiplication des interventions étatiques sous forme de plans, d’aide ou d’accompagnements bidons n’a visiblement pas délivré de résultats satisfaisants? Plus globalement, l’ubérisation peut devenir un progrès si l’Etat-providence et nos systèmes de formation continue s’avèrent capables de protéger ces individus et de les faire progresser au cours de leur vie. C’est très exactement ce que John Rawl appelait la justice sociale. Quant au transhumanisme, il n’est qu’une nouvelle étape dans la lutte pour la vie humaine contre les dangers de la nature. Cette lutte est consubstantielle à l’homme, ce que la visite de n’importe quel musée d’archéologique illustre.

Cette chape de plomb est nationaliste enfin puisqu’elle rejette dans un même mouvement soi-disant patriotique la mondialisation et l’Europe. Or c’est là que l’analyse des apeurés de l’avenir est la plus contradictoire. Car, si l’on veut réguler, et c’est absolument nécessaire, les usages de l’intelligence artificielle et des biotechnologies ; si l’on souhaite orienter l’innovation vers ses usages positifs (dans le domaine de la santé ou du développement durable notamment) et non destructeurs ; si l’on veut éviter le dumping social et fiscal ou contrôler les migrations, c’est bien de plus de coopération internationale et de multilatéralisme dont nous avons besoin. Un peu moins de souveraineté fantasmée, un peu plus de souveraineté réelle.

Tribune FigaroVox publiée le 9 janvier 2017