Comment augmenter l’offre de gamètes


9 octobre 2019

Le débat sur la loi bioéthique nous rappelle que l’économie et la philosophie doivent marcher main dans la main. La philosophie donne le sens de l’action, l’économie donne les moyens de l’action. Je suis pour ma part favorable à l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires pour des raisons philosophiques fondées sur une certaine conception de la famille et de la filiation. Mais cette opinion est loin d’épuiser le problème. Les couples hétérosexuels qui souffrent d’infertilité et qui ont besoin d’un don de sperme l’attendent aujourd’hui de douze à dix-huit mois. En effet, moins de 400 donneurs sont recensés en France (la situation est pire pour les dons d’ovocytes), ce qui se comprend aisément : le process du don du sperme est l’une des choses les moins glamours au monde. Il faut une sacrée motivation pour s’y résoudre. La fin de l’anonymat ne va pas arranger les choses. Cette attente sera nécessairement rallongée avec l’arrivée de couples de femmes homosexuelles et des femmes célibataires. Il faudra désormais patienter plus de 3 ans. Il est dommage d’étendre la PMA dans le droit si, dans les faits, elle est si difficilement praticable. C’est là que l’économie intervient. Cette file d’attente traduit une pénurie de sperme exactement comme les files d’attente de jeunes gens devant les immeubles parisiens traduisent une pénurie de logements à louer. Sauf que le logement est un bien assez « inélastique » : augmenter l’offre est coûteux et compliqué. Ce n’est pas le cas pour le sperme.

En France, la vente de gamètes est prohibée. Il n’existe pas de marché. Ce cadre a pour but d’éviter que s’instaure une économie de la procréation où l’on vendrait son sperme ou ses ovocytes pour subvenir à des besoins financiers. L’interdiction de la vente et de l’achat se base sur le principe d’indisponibilité du corps humain, inscrit en France dans le Code civil depuis la loi de bioéthique de 1994. Il s’agit de faire en sorte que l’économie de marché n’engendre pas une « société de marché ». Ce principe est à priori compréhensible mais on peut lui opposer deux objections. D’abord, on peut imaginer un droit à disposer de son corps tant qu’on ne fait pas de mal aux autres ou à soi-même. Si je souhaite vendre mon sperme, j’ai du mal à comprendre qui cela peut indisposer. Placer la vente de sperme au même niveau que la vente d’un organe relève d’une mauvaise foi criante. Ensuite, l’interdiction de la vente de gamètes peut être discutée par un point de vue utilitariste grâce aux arguments classiques des économistes. Si les gamètes sont rares, leur système d’allocation doit être modifié. Il faut assumer le fait qu’elles ont un prix, et que ceux qui le souhaitent pour des raisons qui ne regardent qu’eux, puissent en vendre ou en acheter. C’est cette logique réaliste que privilégie le Danemark, qui n’est pourtant pas le pays de l’économisme roi. Là-bas, les échanges de gamètes sont très développés alors qu’en France ils restent anecdotiques. A Aarhus, à 200 km à l’ouest de Copenhague, se trouve le siège de Cryos, qui abrite des cuves d’azote liquide remplies de plus de 100 litres de semence humaine. La société annonce 6000 « bébés Cryos » par an. La société achète le sperme à un prix fixé selon des critères de qualité. La France interdit cette pratique mais rien n’empêche un couple français d’acheter un échantillon chez Cryos.

L’interventionnisme procréatif français trouve sa limite dans la mondialisation. Il est possible d’acheter des spermatozoïdes au Danemark, de congeler ses ovocytes en Espagne et en Belgique, de faire une FIV aux États-Unis. Mais ce tourisme procréatif est évidemment réservé aux plus aisés. En faisant de la moraline sur le dos de l’économie, on crée une société plus inégalitaire et on réduit les droits réels des individus.

Article publié dans L’Express le 2 octobre 2019