Alerte éco – Le plan Juncker : un divin retour de la politique économique
Jean-Claude Juncker, Président de la Commission européenne, présente ce mercredi au Parlement un plan d’investissement européen. Un tel plan est indispensable au retour de la croissance vu la situation macroéconomique du continent, et notamment de la zone euro.
En zone euro, l’alliance d’une faible croissance (0,3% au T2 2014), d’une faible inflation (0,4% à fin octobre 2014), d’un taux de chômage élevé (11,5% à fin septembre 2014) et d’un endettement public conséquent (91% du PIB) nécessite une action à la fois sur l’offre et la demande. L’investissement a la caractéristique d’agir conjointement sur l’offre et la demande : la demande de biens d’équipement augmente quand l’offre est modifiée par l’investissement réalisé.
Malgré l’abondance de fonds privés et la faiblesse des taux d’intérêt (taux directeur de la BCE à 0,05%), l’investissement privé européen est peu dynamique. Les exigences macro-prudentielles (Bâle III) limitent fortement la capacité des banques à prendre des risques. Parallèlement, le niveau d’endettement public réduit les possibilités d’un plan de relance sur fonds publics. Le plan de Jean-Claude Juncker fait donc preuve de pragmatisme : l’action publique doit permettre de réduire le risque pris par les investisseurs privés en apportant des garanties. 21 milliards € de fonds publics apporteront une garantie pour lever 63 milliards € de fonds privés et attirer par effet d’entraînement 315 milliards € d’investissements sur les projets financés.
Un déterminant sera au cœur de la réussite économique du plan : quels projets seront sélectionnés ?
Pour renforcer rapidement la compétitivité des entreprises européennes, l’investissement peut être orienté vers la production (notamment via la robotisation). Les entreprises de la zone euro accusent en effet un retard conséquent de stock de capital productif par habitant (qui mesure l’ensemble des actifs utilisables par les entreprises dans le processus de production) : 1 500 € contre 24 000 € aux Etats-Unis et 28 000 € au Japon.
Le choix de la Commission semble a priori se porter vers des projets plus macroéconomiques : infrastructures, centres de recherche, éducation. L’impact économique tient alors en deux temps : hausse de la demande à court-terme et amélioration de l’offre à long terme.
Le choix d’investir sur des projets collectifs (infrastructures, recherche, éducation) pose un problème d’articulation entre les économies nationales nécessitant une relance de la demande et celles aspirant au développement d’infrastructures.
Pour faire simple, l’Allemagne a besoin d’infrastructures quand l’Espagne, l’Italie et le Portugal ont besoin d’une relance de la demande. Une hausse de la demande dans les pays où le chômage est bas (Allemagne, Autriche, Pays-Bas) aurait un impact limité sur l’activité économique et l’emploi, à l’inverse des pays du sud de l’Europe. Le schéma économiquement optimal serait d’avoir recours à des entreprises et des travailleurs espagnols, italiens ou portugais pour construire des infrastructures en Allemagne !
En attendant la sélection des projets, la première leçon du plan Juncker est l’apparition d’une politique économique au niveau européen.
La capacité d’action politique, portée disparue au niveau national, émerge au niveau européen : politique monétaire active, plan de relance de l’investissement, implication grandissante dans les réformes structurelles nationales. La crise des dettes souveraines en 2010 semble avoir créé un électrochoc politique : la Commission et la BCE assument un rôle grandissant dans la définition d’une politique économique communautaire. Cette nouvelle volonté d’action sur le réel est évidemment une bonne chose mais se pose déjà une question institutionnelle majeure : quid du contrôle démocratique sur ces nouveaux faiseurs de politiques économiques ?