Alerte éco : Baisse de la TVA, une mesure coûteuse et inefficace pour donner du pouvoir d’achat aux ménages les plus modestes
SYNTHÈSE
Baisser la TVA est un moyen coûteux et inefficace pour donner du pouvoir d’achat aux méanges les plus modestes. Asterès a analysé le programme de Marine Le Pen qui propose notamment une suppression de la TVA sur certains produits de première nécessité et une baisse de TVA sur les carburants et l’énergie. Le gain pour les ménages les plus aisés est environ 60 % plus élevé que pour les ménages les plus modestes. De plus, seuls 3 % à 15 % des sommes engagées par l’Etat bénéficieraient aux ménages les plus modestes, contre 40 % à 90 % qui bénéficieraient aux entreprises selon les hypothèses retenues. Le gain annuel de pouvoir d’achat pour les ménages les plus modestes serait compris entre 39 € et 233 €, mais si toutes les sommes engagées par l’Etat leur étaient versées directement, ils gagneraient 1 538 € de pouvoir d’achat chaque année. La présente note complète une précédente analyse d’Asterès qui estimait les gains de pouvoir d’achat uniquement suite à la suppression de la TVA sur les produits alimentaires[1].
Définitions des ménages les plus modestes, classes moyennes et ménages les plus aisésDans la présente note, les ménages les plus modestes correspondent aux 30 % des ménages ayant les plus faibles revenus, les ménages les plus aisés correspondent quant à eux aux 30 % des ménages ayant les plus hauts revenus. Les 40 % des ménages compris entre ces deux groupes correspondent aux classes moyennes. |
1) Un gain moyen de pouvoir d’achat de 513 € si la baisse de TVA se répercute intégralement dans les prix
La première étape de l’analyse consiste à calculer le gain de pouvoir d’achat si la baisse de la TVA se répercutait intégralement dans les prix. Le programme de Marine Le Pen propose deux baisses de TVA :
– Une suppression de TVA sur un panier de 100 produits de première nécessité sur lesquels la TVA passerait de 5,5 % à 0 %. La liste exacte des 100 produits, qui concernerait l’alimentaire et l’hygiène, n’est pas précisée par la candidate à notre connaissance. Asterès a construit son analyse sur une liste de produits[2] qui, si leur taux de TVA passait de 5,5 % à 0 %, représenteraient un manque à gagner fiscal d’environ 3,9 milliards d’euros, soit un chiffre correspondant au chiffrage du programme de Marine Le Pen (3,5 à 4 milliards d’euros).
– Une baisse de la TVA de 20 % à 5,5 % sur l’essence, le fioul, le gaz et l’électricité. Le coût pour l’Etat serait, d’après le chiffrage du Rassemblement National, de 12 miliards d’euros. Asterès estime pour sa part un coût de 11,2 milliards d’euros, l’écart pouvant s’expliquer par la différence de termes utilisés entre le programme du Rassemblement National et les catégories de produit des données Insee utilisées par Asterès[3].
Si la baisse de la TVA se répercutait intégralement sur les prix, il en résulterait un gain annuel de 389 € pour les méanges les plus modestes, de 626 € pour les ménages les plus aisés et de 513 € pour l’ensemble des ménages. Le gain de pouvoir d’achat est environ 60 % plus élevé pour les ménages les plus aisés que pour les ménages les plus modestes car ceux-ci, consommant plus, bénéficient également plus des baisses de TVA.
2) Des gains de pouvoir d’achat faibles car toute la baisse de TVA ne se répercute pas dans les prix
La seconde étape de l’analyse consiste à estimer la part de baisse de TVA qui se répercutera effectivement dans les prix. Les commerçants n’ont pas d’obligation de baisser leurs prix suite à une baisse de TVA, leur réaction pouvant notamment dépendre de l’intensité concurrentielle de chaque secteur, du caractère temporaire ou non de cette baisse, de la situation financière des entreprises et des ménages, de la conjoncture économique, de l’ampleur de la variation de TVA ou de son niveau initial. En effet, les études de cas sur les exemple passés de baisse de TVA donnent des résultats sensiblement différents. Du fait de l’hétérogénéité de la littérature, Asterès a choisi de fixer une borne maximale (60 % de la baisse de TVA se répercute dans les prix) et une borne minimale (10 % de la baisse de TVA se répercute dans les prix) à partir des cas suivants :
– Exemple de la baisse de la TVA dans la restauration en France : En 2009, la TVA dans la restauration en France est passée de 19,6 % à 5,5 %. D’après Benzarti et Carloni[4], seul 9,7 % (arrondi à 10 % par la suite) de cette baisse ont été répercutés sur les prix et 90,3 % ont été captés par les entreprises. Dans une précédente note[5], Asterès, qui avait alors effectué une revue de la littérature ne portant que sur des cas françsis, s’était basé uniquement sur cet exemple pour estimer le gain de pouvoir d’achat attendu d’une baisse de la TVA dans l’alimentation.
– Exemple de la baisse de la TVA en Allemagne : Suite à la crise du Covid-19, l’Allemagne a mis en place une baisse de TVA de 19 % à 16 %. D’après la Bundesbank[6], 60 % de cette baisse se serait répercutée sur les prix.
Pour les ménages les plus modestes, le gain de pouvoir d’achat annuel se situe entre 39 € et 233 €. Selon la répercussion de la baisse de TVA dans les prix, le gain de pouvoir d’achat varie sensiblement. Pour la moyenne des ménages français, il se situe dans une fourchette comprise entre 51 € et 308 €. Le gain de pouvoir d’achat est 60 % plus élevé pour les ménages les plus aisés que pour les ménages les plus modestes.
La baisse de la TVA bénéficie principalement aux entreprises et aux ménages les plus aisés. Sur les 15,1 milliards d’euros de manque à gagner de recettes fiscales pour l’Etat, seulement entre 3 % et 15 % de cette somme bénéficiera aux ménages les plus modestes (entre 0,4 et 2,3 milliards d’euros). Le gain pour les ménages les plus aisés est supérieur (entre 4 % et 25 %, soit de 0,6 à 3,7 milliards d’euros). Les entreprises seront les principales bénéficiaires de cette mesure puisqu’elles capteront entre 40 % et 90 % des sommes engagées par l’Etat, soit entre 13,7 et 6 milliards d’euros).
3) Donner de l’argent aux ménages les plus modestes pour accroître leur pouvoir d’achat
Donner directement les sommes engagées dans la baisse de TVA aux ménages les plus modestes accroîtrait leur pouvoir d’achat annuel de 1 538 €. Pour améliorer la situation financière des ménages les plus modestes, la solution la plus efficace est de leur donner directement de l’argent. En effet, la mesure de baisse de TVA telle que proposée par Marine Le Pen entraînerait un gain de pouvoir d’achat pour les ménages les plus modestes compris entre 39 € et 233 €, mais si la totalité du manque à gagner pour l’Etat (15,1 milliards d’euros) leur était directement distribué, il en résulterait alors un gain de pouvoir d’achat annuel de 1 538 €.
Par Sylvain Bersinger, Économiste chez Asterès
[1] Asterès, « La hausse des prix de l’alimentation : La baisse de la TVA n’est pas le levier idéal pour défendre le pouvoir d’achat », 13 avril 2022
[2] Pain et produits à base de céréales, lait, fromage et œufs, huiles et graisses, fruits et légumes. Asterès a n’a retenu que des produits alimentaires car les dépenses des ménages par décile de revenu sont plus détaillées dans les données Insee que pour les produits non-alimentaires.
[3] Par exemple, pour le fioul, Asterès a retenu le poste de dépense qui s’en rapprochait le plus, à savoir les combustibles liquides (pour l’habitation).
[4] Benzarti et Carloni, IIP, « Qui a bénéficié de la baisse de la TVA dans la restauration en 2009 ? », mai 2018
[5] Asterès, « La hausse des prix de l’alimentation : La baisse de la TVA n’est pas le levier idéal pour défendre le pouvoir d’achat », 13 avril 2022
[6] Deutsche Bundesbank, Monthly Report, November 2020
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