Quelle politique pour accompagner la mutation schumpétérienne dans l’énergie ?
Le secteur de l’énergie, comme l’économie toute entière, est secoué par une vague de destruction-créatrice inédite depuis la révolution industrielle de la fin du 19ème siècle qui a vu le charbon se substituer au bois. La mutation en cours est encore plus complexe pour le secteur car ce n’est pas une énergie qui se substitue à une autre, mais une effervescence d’innovations qui reconfigure les chaines de valeurs (difficile dans un secteur de grandes entreprises verticales) et rend caduques les politiques industrielles anciennes (difficile pour un pays colbertiste).
L’actualité déborde d’annonces qui montrent que Schumpeter prend d’assaut l’organisation séculaire réputée insubmersible de notre production d’énergies primaires et secondaires. Par exemple, Elon Musk a peut-être donné le coup d’envoi d’une reconfiguration de l’énergie, de l’automobile et du bâtiment en fusionnant Tesla et SolarCity après avoir ouvert Gigafactory, l’usine géante de batteries. L’idée est de créer un groupe intégré (à rebours de la théorie économique industrielle, Musk pratique l’intégration verticale) qui produise des panneaux solaires, des batteries, des voitures et, pourquoi pas demain, des bâtiments. Nul ne sait si cela fonctionnera mais la volonté de définir un business model cohérent intégrant écologie et énergie doit être prise au sérieux. Plus audacieux : la start-up américaine Moon express a obtenu cet été l’autorisation d’aller poser une capsule sur la lune en 2017. L’objectif de ce type d’entreprises (le secteur spatial est en plein boom aux Etats-Unis) est de ramener sur terre des métaux et des pierres avec, en ligne de mire, l’hélium 3, ce gaz incroyablement dense en énergie. Autre élément, mieux connu, qui rappelle que le secteur de l’énergie mute : l’EIA (Energy Information Administration) prévoit qu’entre 2010 et 2040, la production américaine de gaz de schiste aura doublé, notamment grâce à des forages de plus en plus propres. Dans le monde aujourd’hui, le gaz est l’énergie qui a le vent en poupe. Tant qu’il y aura de l’innovation, on trouvera de l’énergie.
Ce n’est pas un hasard si l’énergie est submergée par une vague d’innovations. En effet, en économie, nécessité fait loi. Or la demande d’énergie augmente. Elle va progresser d’environ 25% d’ici 2040, tirée par l’augmentation du PIB par habitant, la population et l’urbanisation. A cette date, 65% de la population vivra en ville, contre un peu plus de 50% aujourd’hui. Or la concentration humaine génère un besoin de mobilité accru parce que les villes s’étendent et parce qu’on voyage de plus en plus de métropoles en métropoles. Les êtres humains se nourrissent d’énergie, c’est ainsi et les thuriféraires de la décroissance commettent rien de moins qu’un contre-sens anthropologique. D’une certaine façon, cela ne pose aucun souci puisque le monde regorge de ressources énergétiques. Reste à aller les chercher : c’est le karma des entreprises innovantes. Dans le même temps, le rapport State of the Climate nous confirme que 2015 avait battu tous les mauvais records de température au sol, température de surface des océans, niveau des mers. Notre objectif collectif est donc bien de réduire drastiquement les émissions de CO2. L’éolien et le solaire sont sans doute une partie de la solution, mais il y en a bien d’autres. Ainsi, aux Etats-Unis, l’EIA a calculé que la substitution du gaz de schiste au pétrole et au charbon contribuait davantage à la réduction des émissions de CO2 liées à la production d’électricité que les énergies renouvelables.
Soutenir les filières énergétiques dans leur configuration actuelle ou subventionner à l’aveugle l’éolien ou le solaire (alors même qu’on subventionne le diesel !) ne fait plus guère de sens. Ces politiques de gribouille contribuent à ruiner les finances publiques. Il n’existe plus qu’une seule bonne politique de l’énergie : celle qui consiste à laisser faire l’innovation en fonction d’incitations économiques fortes. Le plus grand service que la COP22 pourrait rendre au monde serait de trouver un accord qui permette de fixer le prix du carbone à un niveau élevé. C’est conceptuellement simple, politiquement compliqué, mais autrement plus efficient que nos vieilles politiques de subventions.
Cet article a été initialement publié dans Les Echos le 23 août 2016