L'Opinion – Déshumanisation par l'inculture
21 mai 2015
Tribune rédigée avec Démosthène Davvetas, philosophe grec. Retrouver l’article sur le site de l’Opinion.
Le projet de réforme français du collège et des programmes devrait plaire à l’actuel ministre grec de l’Education qui a appelé à l’abolition des écoles d’excellence. Il s’agit dans les deux cas de s’éloigner de l’enseignement classique pour mettre l’accent sur des notions à la mode comme la transversalité. Ironiquement pour des gouvernements de gauche, il s’agit de faire en sorte que l’école réponde mieux aux soi-disant besoins de l’économie et du capitalisme contemporain. Le souci, c’est que cette idée est fausse économiquement et dangereuse philosophiquement. L’économie mondiale est entrée dans une phase de mutation marquée par l’émergence des NBIC, de la robotisation et de l’imprimante 3D. Cette vague d’innovation génère une croissance « biaisée » : elle augmente surtout la demande de travail qualifié et valorise la curiosité, la plasticité, l’ouverture au monde. En l’occurrence, ce dont les jeunes Français et Grecs ont besoin, c’est moins de savoirs techniques que de savoirs de base solides qui leur permettront de réfléchir et de s’adapter à des situations changeantes. Lire, écrire, compter, penser, parler des langues étrangères n’a jamais été aussi important, y compris dans les disciplines manuelles.
La réforme française et la volonté grecque veulent faire tendre les programmes vers une interdisciplinarité qui, par exemple, n’aurait pas besoin de fondations comme le grec et le latin. Ces deux langues seraient à considérer comme « mortes », non pas seulement au sens où elles ne sont plus parlées mais dans la mesure où le changement économique n’aurait pas besoin de s’encombrer de racines culturelles, ni de mémoire historique. Ce pédagogisme nous vend un monde doté d’énormes jambes artificielles greffées sur un corps entraîné, mais qui n’a ni cœur, ni esprit créatif. Il entraîne une dé-subjectivation du citoyen aux fins de sa dépersonnalisation. Il s’agit de transformer le citoyen en un instrument mécanique pour le convertir en un outil utilisable. Au nom d’une internationalisation et d’une innovation mal comprises, on s’attaque à la spiritualité, à la culture et donc à l’humanisme.
Discerner le beau et le bon. Pourtant, le grec et le latin sont des langues qui renferment des valeurs qui incitent à la sagesse et à discerner ce qui est beau et bon. Ces langues-là fonctionnent comme le miroir et le futur de notre civilisation. Leur étude nous aide à devenir meilleurs, selon l’expression de Jacqueline de Romilly. A contrario, nous ne deviendrons pas meilleurs dans un monde complexe en nous dépouillant de notre mémoire culturelle et historique et des enseignements éthiques que nous a offerts notre éducation classique. Cette éducation visait toujours « l’Ariston », le « plus grand bien » comme l’expliquait Aristote. C’est la raison pour laquelle nous pensons que les projets français et grec obéissent à une conception idéologique visant à une déshumanisation par l’inculture. Mais ces projets oublient qu’il n’y a pas de vie sans humanité et qu’il n’existe pas d’humains dépourvus de sensibilité. Une vie mécanique est une vie artificielle et n’a aucune valeur. Seul ce que nous percevons existe et importe, disait Epicure. De ce fait, notre humanisme humaniste si lié au grec et au latin est un hymne à la beauté éternelle et à la vie au présent et à la conception de l’avenir.