L’humain du XXIe siècle est connecté


30 janvier 2019

Las Vegas est la ville idoine pour accueillir le célèbre CES (Consumer Electronic Show), le plus grand salon de l’innovation, qui existe depuis 1967. J’y accompagnais cette année la délégation de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), menée par son dynamique président François Asselin. Las Vegas est une ville attachante, excessive, en éveil 24h sur 24, qui va de l’avant, emprunte d’un goût douteux, et qui se soucie secondairement du développement durable : autant de caractéristiques qui correspondent au CES. Elle est la plus grande ville du Nevada, ce paradis fiscal (au contraire de l’Etat voisin la Californie) qui autorise la consommation de cannabis et facilite au maximum la circulation encore expérimentale de véhicules sans chauffeurs. Le Nevada est un État libéral. Pour un Français, y passer une semaine permet donc de respirer une grande bouffée d’oxygène.

Visiter le CES tous les deux ou trois ans permet de voir concrètement où se trouve la frontière technologique et quelles sont ses applications pour le grand public. Ainsi, il faudrait être aveugle pour ne pas comprendre que le temps des véhicules sans chauffeurs est arrivé. Le monde quitte l’ère de la mobilité des Trente Glorieuses, des autos coincées dans les embouteillages et des métros bondés. Bonjour voitures électriques sans chauffeurs et navettes collectives autonomes. Manquent les infrastructures. Nos collectivités locales devraient y penser. Il apparaît aussi clairement que les technologies de santé connectées sont arrivées à maturité, nos corps et ceux de nos enfants étant destinés à être surveillés par nos chaussures, nos vêtements, nos miroirs et nos smartphones. C’est un peu angoissant pour nous et pour les médecins, mais notre santé va y gagner.

Tout devient connecté : corps, animaux, vêtements, maisons… et cette connexion est facilitée par les assistants vocaux, véritables stars de ce CES. J’avais sous-estimé la puissance de changement contenue dans ces assistants commercialisés par Google, Apple et surtout Amazon qui, avec sa solution technologique Alexa, était omniprésent à Las Vegas. C’est à partir de ces assistants que l’on communique, oralement, vers ses enceintes, sa télévision, son électroménager, ses volets ou sa voiture. Les implications économiques et technologiques de ces assistants vocaux sont triples. Premièrement, un immense écosystème se construit autour de ces petites machines puisque tous les produits de notre quotidien ont vocation à y être connectés. Deuxièmement, ces technologies renforcent la structure oligopolistique de l’économie de la troisième révolution industrielle. Pour reprendre l’exemple d’Amazon, plus les industriels incorporent Alexa dans leurs produits, plus les autres industriels ont intérêt à utiliser Alexa, et non par exemple la technologie Google. Troisièmement, Amazon, présent via ses technologies dans nos maisons, nos voitures, nos bureaux… va collecter des quantités de data exponentielles. Sa capacité à développer de l’intelligence artificielle (dont on rappelle que les datas constituent le carburant) pour nous proposer de nouveaux produits va être démultipliée. Cet avenir est vertigineux, tout à la fois extraordinaire (que de progrès à venir dans la santé, les transports, l’énergie, le commerce…) et inquiétant (comment l’humanité va réagir à cette connexion technologique permanente ?). Ceci dit, ma plus grande inquiétude à court terme est de constater l’absence de l’Europe dans ces domaines. Quant à notre France, elle peut s’enorgueillir de faire bonne figure au CES grâce à ses nombreuses startups estampillées Frenchtech. Mais il faudrait que notre pays sorte de ses spasmes révolutionnaires pour recouvrer sa lucidité, comprendre de quel bois est faite l’économie mondiale et quelle pourrait être la place de la France dans cette troisième révolution industrielle.

Article publié dans L’Express le 23 janvier 2019