Face au cancer, il faut repenser notre système de soins – ‪#‎JournéeMondialeContreLeCancer‬


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10 février 2016

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Contre le cancer, la science et l’innovation progressent vite. L’innovation bouleverse donc la prise en charge. Mais l’organisation du système de santé, elle, est inerte.

L’imagerie médicale est capable de voir tous les détails de l’intérieur de nos corps et, de plus en plus, d’intervenir directement ; la chirurgie est toujours plus précise et moins invasive ; les thérapies ciblées ont déjà révolutionné la prise en charge des leucémies myéloïdes chroniques (avec Glivec) et de certains cancers du sein (avec Herceptine) alors que plusieurs molécules du même acabit arrivent sur le marché ; l’immunothérapie allonge singulièrement les durées médianes de survie pour des maladies aussi antipathiques que le mélanome métastatique ou le cancer du poumon.

L’organisation de notre système de santé permettra-t-elle à tous les Français d’accéder de façon équitable aux traitements les plus récents ?

L’innovation bouleverse donc la prise en charge. Mais l’organisation du système de santé, elle, est inerte. A tel point que la grande question risque de passer de « pourra-t-on techniquement guérir ou à tout le moins rendre chronique la plupart des cancers d’ici à vingt ans ? » à « l’organisation de notre système de santé permettra-t-elle à tous les Français d’accéder de façon équitable aux traitements les plus récents ? ».

Pour réfléchir à cette question, c’est de notre contrat social qu’il faut partir, en considérant que le but de toute évolution de notre système de soins est de garantir cette forme d’équité à laquelle nous avons collectivement souhaité donner vie après 1945. Mais, attention ! Les technologies de la santé sont celles qui bénéficient le plus de la vague d’innovations des NBIC (la convergence des nanotechnologies, des biotechnologies, des sciences de l’information et des sciences cognitives).

Or quiconque possède de vagues notions d’économie schumpetérienne sait que la destruction créatrice ne frappe pas seulement d’obsolescence les anciennes technologies, mais aussi les anciennes organisations dans lesquelles elles étaient lovées. C’est là que réside l’équation française du cancer : le hiatus croissant entre des techniques qui changent vite et des organisations terriblement rigides, au premier rang desquelles l’hôpital et l’Assurance-maladie. Devant ce type de hiatus, Darwin parlerait de disparition de notre contrat social, Marx, de révolution. Or nous, les modérés, nous ne voulons ni de l’une ni de l’autre.

Nous préférons la réforme. Dans le domaine de la santé, elle est urgente mais elle n’est pas punitive : il s’agit par exemple, pour le cancer, de faire bénéficier toute la nation des formidables avancées contre la maladie en partant d’une situation qui est, à ce stade, encore satisfaisante. Les plans Cancer ont considérablement renforcé la coordination de la lutte contre la maladie. Les centres de lutte contre le cancer font partie des meilleurs hôpitaux européens dans ce domaine et ils sont évidemment ouverts à tous. Mais la contrainte financière, pénible, n’en est pas moins réelle.

L’Assurance-maladie est un tonneau des Danaïdes et le cancer coûte déjà très cher : en soins, en moindre participation à l’économie des personnes malades, en décès prématurés mais aussi en coût, monétaire ou non, pour les aidants (souvent la famille proche). D’après mes estimations basées sur les études de l’INCa, ce coût total annuel doit approcher 40 milliards d’euros. Et, à court terme, il est amené à augmenter, moins en raison de l’incidence de la maladie, qui est stable, que du coût des molécules. Ce n’est pas tant leur production, qui est onéreuse, que l’amortissement des colossales dépenses en recherche et développement qu’elles ont nécessitées.

La question du cancer est systémique

La question du cancer est systémique. Il est illusoire de vouloir la résoudre de façon efficace en se focalisant uniquement sur les prix des médicaments, par exemple. Il faut reconsidérer l’ensemble de l’organisation de notre système de soins en augmentant sa productivité, notamment en médecine de ville et à l’hôpital.

A court terme, les politiques publiques doivent s’orienter vers trois directions : l’intensification de la prévention (surtout dans le domaine du tabac), l’amélioration de la couverture du diagnostic génétique des tumeurs pour orienter les patients très rapidement vers la meilleure combinaison thérapeutique et la sanctuarisation d’un budget affecté à la lutte contre le cancer. Voici un formidable programme politique !

Cet article a été initialement publié dans Les Echos le 4 février 2016