Le capital au service des plus faibles
Si j’ai bien compris les termes du débat public dans notre pays, riche = pas bien ; gros patrimoine = pas bien ; impôts sur le capital = bien. Quand des idées tellement simplistes sont largement partagées, quand la classe politique tremble dès qu’il s’agit de prononcer le mot « capital », quand politiques et intellectuels préfèrent s’étriper sur le référendum d’initiative populaire, les 80 kilomètres-/heure, ou l’IVG plutôt que de sur notre perte de puissance technologique et économique, le déclin devient inévitable. Or ce déclin ne touche pas l’élite mondialisée, protégée par ses diplômes et sa mobilité. Il faut être d’une naïveté désespérante pour penser que ce sont les privilégiés qui souffriraient d’une politique anti-capital à la Mélenchon – Le Pen. Même une connaissance approximative du développement économique (en Amérique latine par exemple) devrait convaincre que ce sont les faibles qui souffrent des politiques publiques les plus illibérales.
Le capital, c’est simplement ce qui permet à une entreprise d’investir, de croître, de recruter et de payer de bons salaires. Dans les pays sans une épargne qui puisse s’investir dans les entreprises, l’économie est bas de gamme, les métiers sont pénibles, les salaires sont misérables. Dans un pays sans capital, impossible de mettre en place un Etat-providence qui protège contre les aléas de la vie. Qui pourrait le financer ?
Dans notre belle France, énoncer de telles vérités déclenche une crise d’hystérie. D’une part parce que les mécanismes économiques de base ne sont pas compris. D’autre part parce que la « moraline » se substitue dans nos débats à la rigueur du raisonnement. Il est vrai qu’il est moins fatiguant de déclamer que « les inégalités c’est mal » que de soutenir un raisonnement systémique et documenté par des chiffres sur la façon dont une fiscalité excessive sur le capital décourage l’investissement, l’emploi et in fine le pouvoir d’achat, raison pour laquelle les pays les plus avancés socialement de la planète prennent soin d’être tempérants dans ces domaines. Regardez les pays scandinaves.
Cette méconnaissance du raisonnement économique et cette « moraline » polluent nos débats sur l’ISF. La vérité, c’est que l’ISF est une machine à appauvrir les pauvres et non pas les riches. Se basant sur des chiffres de Bercy, l’Ifrap a montré récemment que l’ISF avait fait perdre à l’Etat Français 143 milliards d’euros de base taxable depuis 1982. L’institut Rexecode arrive, quant à lui, à 200 milliards d’euros. L’ISF, c’est donc moins de capital dans les entreprises, mais c’est aussi moins d’enseignants dans les écoles, moins de personnels soignants dans les hôpitaux, moins de policiers dans les rues. Pour qui est-ce le plus mauvais ? Pour Bernard Arnault ou pour une personne au smic qui rame et élève des enfants dans un quartier à problèmes ?
D’ailleurs, contrairement à ce qu’on entend partout, la réforme de l’ISF semble déjà avoir un impact positif. Ainsi, d’après le baromètre 2018 d’EY sur le capital-risque, les start-up françaises ont levé un montant record de 3,6 milliards d’euros l’année dernière, soit une progression de 41% par rapport à 2017. Trois levées de fond ont été supérieures à 100 millions d’euros : Deezer, Blablacar et Voodoo (un éditeur de jeux vidéo). Soyons clair : ces chiffres ne s’expliquent pas que par la fiscalité et, bien qu’en amélioration, ils demeurent faibles. Rattraper notre retard dans les technologies de la troisième révolution industrielle nécessiterait des investissements colossaux. Mais comprenons bien que derrière ces levées de capital se trouvent néanmoins investissements, emplois et salaires.
Le capital des entreprises, c’est la terre d’où peuvent pousser le patrimoine des individus et les services publics de l’Etat. Mais pour comprendre ça, il faut faire passer l’intelligence avant l’idéologie.
Article publié dans L’Express le 6 février 2019