La tentation de l’immobilisme
Il n’y aura sans doute pas de réforme de L’État sous ce quinquennat. 30% du mandat d’Emmanuel Macron se sont déjà écoulés. Or, dans tous les pays développés, 80% des réformes sont réalisées dans le premier quart d’un mandat, quand le capital politique d’une majorité est encore suffisant. Ce qui est vrai en général l’est encore plus concernent la réforme de L’État. C’est un sujet techniquement difficile et que seul le Président peut politiquement porter car il remet en cause énormément de situations acquises. C’est la réforme de la SNCF à la puissance 50.
La temporalité pour un tel chantier doit sembler désormais défavorable à l’Élysée. Pour des raisons économiques d’une part. L’augmentation des prix du pétrole et la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis vont freiner la croissance des pays de l’OCDE. Il est plus difficile d’entamer une politique structurelle de baisse des dépenses publiques dans ces conditions car elle sera procyclique. Pour des raisons politiques ensuite. La majorité est déjà fâchée avec les 14 millions de retraités qui se lassent d’entendre dire que réduire leur revenu résoudra les problèmes de la jeunesse. Après s’être brouillée pour de mauvaises raisons avec les retraités, la majorité peut-elle prendre le risque de se fâcher pour de bonnes raisons avec 5,5 millions de fonctionnaires ? Cela ressemblerait à un suicide politique. Et pourtant, je veux encore croire que cela sera tenté pendant ce quinquennat.
Un grand nombre de nos difficultés économiques proviennent de la taille et de l’inorganisation de notre sphère publique. Ainsi, l’absence de traitement de ce sujet nous condamne à être incapables de diminuer les prélèvements obligatoires autrement qu’en ajustant marginalement certains paramètres fiscaux ou en bricolant des changements qui accentuent la paranoïa fiscale des Français. Par exemple, la suppression de la taxe d’habitation (mais sera-t-elle supprimée pour tout le monde ?) affole les contribuables qui se demandent quel loup se cache derrière cette politique difficilement lisible.
En outre, la montée de notre endettement public nous place en situation de risque extrême en cas de crise financière, cette hypothèse n’étant pas théorique dans la mesure où tous les marchés d’actions et d’obligations sont fortement surévalués. Enfin, l’augmentation de notre déficit public en 2019 et notre endettement minent notre crédibilité européenne. Comment expliquer à nos partenaires allemands, néerlandais ou autrichiens la nécessité pourtant absolue de renforcer l’intégration fiscale et sociale ? Si nous ne faisons rien, nous sommes irresponsables.
Pourtant, ce président et ce gouvernement ont pu montrer ces seize derniers mois qu’ils pouvaient être capables d’audace : Muriel Pénicaud, Bruno Lemaire et Gérald Darmanin ont mené des réformes du marché du travail, de la formation et de la fiscalité du capital qui étaient attendues depuis des décennies et qui auront des incidences positives. On rêverait donc que le président appuie enfin sur le bouton de la réforme de L’État et que les ministres confient à des agences indépendantes toutes les tâches où la sphère publique n’est pas indispensable.
Que L’État transfère au privé des activités et la croissance n’en sera pas ou très peu affectée. Que la réorganisation permette aux fonctionnaires d’être plus autonomes et mieux rémunérés et le coût politique de la réforme sera amorti. Si le président Macron cède à la facilité, l’économie française continuera son chemin entre crise et croissance molle. Il aura échoué économiquement et sans doute aussi politiquement, autant que s’il n’avait rien fait. Les Insoumis ou les RN (ou une alliance des deux) lui succéderont pour le malheur de notre pauvre pays. Et ce ne sont pas eux, populistes fanatiques de dépense publique, qui réformeront l’État.
Article publié dans L’Express le 3 octobre 2018