Il faut durcir l’accès à l’assurance-chômage
Dans son discours de Versailles, le Président Macron a « invité » les partenaires sociaux à revoir les règles d’indemnisation du chômage pour qu’elles encouragent davantage la reprise d’emploi. Le président de la République s’oblige ainsi à un test grandeur nature : l’exécutif, même après avoir perdu une partie de son capital politique, est-il encore capable de réformer avec clairvoyance et courage comme il l’a fait avec les ordonnances de la loi Travail, la fiscalité du capital, la formation continue et une partie de la Loi Pacte ? Ou, comme sur les questions de finances publiques par exemple, va-t-il capituler au prétexte inavoué que « c’est trop dur » ? Car, pour réformer l’assurance chômage, le gouvernement et le Parlement auront besoin de beaucoup de clairvoyance et d’énormément de courage.
Beaucoup de clairvoyance d’abord. La situation du marché du travail est caractérisée par un paradoxe : 9,2% de la population active était au chômage en France au premier trimestre 2018 d’après l’Insee. Pourtant, d’après l’excellent bulletin conjoncturel que BPIFrance vient de publier, 41% des entreprises de moins de 250 salariés déclarent « d’importantes difficultés de recrutement ». C’est dix points de plus qu’il y a un an et un sommet depuis 2002. Cette situation pose un triple problème. Problème social d’abord : le chômage, surtout quand il dure comme en France, entraîne déqualification et pertes de revenus. Je rappelle que 45% du chômage dans notre pays est supérieur à 1 an. Problème économique ensuite : la croissance du PIB de la France n’atteindra même pas 2% cette année et, déjà, beaucoup d’entreprises ne peuvent plus produire davantage car elles ne trouvent pas de collaborateurs. C’est simplement stupide. Problème financier enfin : même si le déficit de l’assurance-chômage se réduit, sa dette a atteint 33,5 milliards d’euros en 2017. Aussi, le président a ainsi mille fois raison de trouver la situation insatisfaisante.
Que veut-il faire ? Pour l’heure, le gouvernement et les partenaires sociaux ont discuté des promesses de campagne d’Emmanuel Macron : l’ouverture des droits aux démissionnaires et aux indépendants. Au risque de fâcher certains lecteurs, j’ai toujours été radicalement opposé à ces deux propositions que le gouvernement a d’ailleurs édulcorées au maximum. Démissionner est un droit absolu des salariés. La contrepartie de ce droit, c’est qu’ils ne perçoivent pas de revenu. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Quant aux indépendants, c’est à eux de se couvrir contre le risque d’échec de leur activité.
Venons-en au cœur du sujet, de ce qui fera polémique et demandera à l’exécutif énormément de courage : oui, il existe un lien entre le mode d’indemnisation du chômage et le niveau l’emploi, d’où la combinaison en France d’un chômage de masse et de difficultés de recrutement. Le mauvais calibrage de la formation continue porte une part de responsabilité mais pas la totalité. Comme le rappelle Bertrand Martinot, la France se situe au-dessus de la moyenne européenne en termes de ratio de remplacement (qui rapporte l’indemnisation perçue au dernier salaire) « net » d’impôts et de cotisations, de durée maximale d’indemnisation et de conditions d’éligibilité au chômage. De nombreux pays ont modifié les paramètres d’indemnisation ces dernières années, notamment l’Allemagne de Schröder (1998-2005). D’après la littérature académique, une augmentation de 1 point du ratio de remplacement entraîne une augmentation de la durée du chômage de 0,5 à 1,5%. L’allongement de la durée d’indemnisation a des conséquences similaires. Ces effets sont particulièrement nets pour les personnes bien formées qui perçoivent des rémunérations élevées, comme les cadres. Eh oui, disons-le clairement : de nombreux cadres abusent de l’assurance-chômage. Il faut changer cela dans l’intérêt général.
Article publié dans L’Express le 15 août 2018