Et si nous profitions de la croissance africaine ?
Quand j’étais étudiant dans les années 1990, les associations altermondialistes comme Attac expliquaient que la mondialisation était l’instrument de l’oppression des pays pauvres par les pays riches. Cette idée correspondait à l’interprétation léniniste du marxisme. Selon ce schéma, une fois que les capitalistes avaient exploité les prolétaires dans leurs pays, ils n’avaient d’autre choix que « d’exporter leur exploitation ». Ils devaient alors piller les pays pauvres de leur capital humain et de leurs matières premières. Il ne reste pas grand-chose des altermondialistes et pour cause : c’est très exactement l’inverse de leurs prédictions qui s’est réalisée. La mondialisation a essentiellement amélioré le sort des plus pauvres.
C’est ce que vient de confirmer le dernier rapport de la Banque mondiale sur les perspectives économiques globales. En 2001, l’institution dénombrait 64 pays à « faibles revenus », c’est-à-dire où le revenu par habitant était inférieur à 755 dollars. Ce seuil relevé à 995 dollars pour tenir compte notamment de l’inflation, ils ne sont plus que 34 pays. Certains d’entre eux, comme la Côte d’Ivoire ou le Cameroun, ont bénéficié d’un boom des matières premières. Leur situation reste donc fragile, car on ne fonde pas une prospérité uniquement sur des ressources naturelles. Mais, surtout, l’Afrique s’est insérée dans la mondialisation voire dans l’innovation. Des pays comme le Rwanda, la Tanzanie ou l’Ouganda ont signé des accords de libre-échange et se sont ouverts aux investissements étrangers, ce qui a considérablement fait reculer la pauvreté et la malnutrition. Le Rwanda, le Kenya et le Nigeria ont fait naître de véritables écosystèmes d’innovation où le capital investissement progresse vite. Les start-ups africaines sont particulièrement performantes dans le domaine des systèmes de paiement car la majorité des habitants d’Afrique subsaharienne n’a pas accès au circuit bancaire classique.
Le recul de la pauvreté en Afrique ne réjouira pas nos pessimistes professionnels, qui sont souvent passés par la case altermondialiste. Car, selon eux, si ce ne sont pas les riches qui exploitent les pauvres, c’est que ce sont les pauvres qui exploitent les riches. Ce que le paysan ivoirien ou l’entrepreneur rwandais gagne, il le prend à nos agriculteurs et à nos patrons de PME. Pour le coup, cette simplification n’est pas complètement fausse mais nous en sommes largement responsables. L’articulation de la mondialisation et de la destruction-créatrice a souvent bénéficié dans l’Histoire aux pays pauvres ou émergents, au détriment des classes moyennes des pays riches. Comme le montre brillamment Mathieu Laine dans son nouveau livre Il faut sauver le monde libre (Plon), il est vital de protéger la liberté du commerce et la mondialisation, tout en soutenant ceux qui, chez nous, en souffrent. Pour cela, il faut rendre nos politiques d’éducation, de formation et de logement 10 fois plus efficaces qu’aujourd’hui.
Mais l’Europe doit aussi faire du judo : utiliser la mondialisation à son profit. La combinaison de la démographie et du développement économique pourrait en faire de l’Afrique la Chine du XXIe siècle. Maintenant à la tête de BusinessEurope, la fédération des entreprises européennes, Pierre Gattaz milite pour que les entreprises de notre continent se mettent en ordre de marche pour aider les Africains à développer des smart cities. Pollution, transport, santé, travaux publics… dans tous ces domaines, des entreprises européennes détiennent des avantages compétitifs qu’elles pourraient faire valoir dans le cadre de partenariats public-privé avec les villes africaines. Encore faudrait-il que nos politiques et nos entreprises développent des visions à trente ans axées sur le développement économique et pas seulement sur la protection du passé.
Article publié dans L’Express du 12 juin 2019