Comment les taux d’intérêt négatifs accroissent les inégalités
Une banque danoise, la Jyske Bank, propose désormais à ses clients des prêts immobiliers sur 10 ans à un taux d’intérêt de -0,50%. Le passage en territoire négatif du prix du crédit nourrit les inégalités de patrimoine alors qu’il est censé relancer la croissance de l’activité.
Les Français ne pourront malheureusement pas profiter de taux d’emprunt négatifs puisque le code civil l’interdit. Ce qui est à première vue une bonne nouvelle est la conséquence des réactions des banques et des épargnants face à l’instauration de taux directeurs négatifs par la Banque centrale européenne (BCE).
Censée soutenir la croissance en fournissant des liquidités à l’économie, la politique expansionniste est peu efficace puisqu’elle ne permet pas la relance des gains de productivité. Au contraire, elle a des effets dévoyés en désincitant l’épargne productive, trop peu rémunératrice, tout en permettant la délivrance de crédits à taux très faibles ou négatifs. Par ce canal, le banquier central oriente l’épargne des ménages vers l’immobilier, accentue l’effervescence du marché et accroît les difficultés d’accès à la propriété.
Les taux d’intérêt négatifs placent l’économie européenne sous perfusion et ne permettent pas la récupération de gains de productivité, seuls stimulants de la croissance réelle à long terme.La politique très expansive menée par la Banque centrale européenne vise à relancer les investissements productifs et soutenir la croissance.
Pourtant, depuis 2013 et l’instauration de taux directeurs négatifs, la croissance de la zone euro est atone : +1,6% en moyenne par an jusqu’en 2018 quand elle s’élève à +2,3% aux États-Unis.
L’explication de la neutralité de la politique monétaire sur la croissance est simple : la zone euro ne souffre pas d’une insuffisance de liquidités, mais plutôt de trop faibles gains de productivité. L’internationalisation des échanges et la tertiarisation de l’économie européenne ont comprimé la dynamique de hausse de la production par heure travaillée depuis les années 1990.
L’industrie, très consommatrice de recherche et développement, génère bien plus de gains que les services. La zone euro aurait besoin d’une affirmation de la politique industrielle et de soutien au progrès technique.
Par contraste, la politique monétaire expansive permet à des entreprises peu profitables de maintenir leur trésorerie par l’emprunt. Ce phénomène enraye le mécanisme de destruction-créatrice, c’est-à-dire le remplacement d’organisations peu innovantes et rentables au profit de sociétés technologiquement novatrices. Seuls les gains de productivité permettent d’amorcer la croissance, d’augmenter les salaires et de diminuer les inégalités. En 2019, la croissance réelle des salaires ne s’élève qu’à 0,5%
Les taux négatifs orientent le comportement des ménages et des créanciers. La rentabilité des placements – épargne réglementée et assurance-vie – chute au profit de l’immobilier.
Les ménages modestes qui pouvaient profiter des bonnes conditions d’emprunt risquent d’en être éloignés dans un futur proche. Les prélèvements de l’autorité monétaire sur les dépôts des banques commerciales se répercutent sur l’intérêt auquel ces dernières rémunèrent les placements de leurs clients. Le livret A a ainsi atteint son taux de rentabilité le plus faible : 0,75% jusqu’en 2020. Le rendement de l’assurance-vie poursuit lui aussi son décrochage, passant de 1,8% en 2018 à 1,5% en 2019. Seuls les investissements en actions et dans l’immobilier demeurent rentables.
En 2018, le CAC 40 a versé de 57,4 milliards d’euros de dividendes, chiffre record depuis 2007. Au total, les actions prises dans les 40 plus grandes entreprises françaises offrent une rentabilité de 3,8%. C’est pourtant la pierre qui demeure l’investissement préféré des Français, traditionnellement averses au risque. Jamais le marché de l’immobilier n’a connu une telle effervescence : le nombre de transactions a augmenté de 7,0% en 2019, franchissant la barre symbolique du million.
Par ailleurs, la hausse de l’endettement des ménages, l’allongement des durées d’emprunt et la hausse du taux d’effort (rapport entre la somme des dépenses liées au logement et le revenu) ont éveillé les craintes des vigies du secteur financier que sont le Haut Conseil de Stabilité financière en France et le Comité européen du risque systémique pour l’Union européenne. Ces deux entités pourraient à court terme renforcer les consignes de prudence données aux banques, notamment en termes de contrôle de la solvabilité des emprunteurs les plus fragiles. Aussi, les ménages modestes qui pouvaient profiter des taux très bas pour accéder à la propriété rencontreront plus de difficultés à l’avenir. Au total, la politique monétaire expansionniste, loin de soutenir l’activité, affermit l’attractivité de la rente immobilière, favorise les hauts patrimoines et renforce les inégalités.
Article Asterès pour MeilleurTaux