Code du travail : soyons ambitieux !
La confiance ne suffira jamais à relancer à elle seule l’économie. Et pourtant, que n’a-t-on pas entendu ces dernières semaines. Le record atteint par le moral des ménages ; l’image, redorée c’est vrai, de la France à l’étranger ; l’engouement des entrepreneurs pour un président ouvertement pro-business : tout ceci ne devrait-il pas permettre à l’investissement et à l’emploi de s’envoler car, comme on l’entend ad nauseam : « la confiance, c’est l’essentiel pour l’économie » ?
Les relations du travail sont enserrées dans un réseau de contrainte délirant émanant de la Loi et de la jurisprudence.
Et bien ce n’est pas si simple. Historiquement, le lien entre les indices de confiance et les performances économiques réelles est tout sauf régulier pour une raison simplissime mais que l’engouement des milieux économiques pour le nouveau président a écarté (momentanément) de leur esprit : une confiance durable ne peut être basée que sur des réformes réussies. Et c’est sur ce sujet, précisément, qu’il conviendrait de se concentrer. Cela tombe bien car nous avons du grain à moudre. Dans ce que devraient contenir les « ordonnances travail » qui vont constituer le premier acte de réformes économiques structurelles de ce quinquennat, il est une disposition centrale mais souvent mal comprise : l’inversion des normes, c’est-à-dire la primauté des accords d’entreprises sur les accords de branche. L’idée est excellente et, dans le contexte français, révolutionnaire. Chez nous, les relations du travail sont enserrées dans un réseau de contrainte délirant émanant de la Loi et de la jurisprudence. Depuis 1936, les accords de branche peuvent compléter ces règles à condition qu’ils soient plus favorables aux salariés que la loi. De même, les accords d’entreprises doivent leur être plus favorables que les accords de branche, bien que la Loi El Khomri ait mis un coup de canif bienvenu à ce principe dans le domaine de la rémunération des heures supplémentaires.
La notion même de secteur est remise en question depuis vingt ans.
Le souci, c’est que cette organisation incroyablement normée des relations au travail se retourne contre ceux qu’elle est censée protéger en contribuant au chômage de masse et donc à l’atonie du pouvoir d’achat. Le juge prudhommal a pris l’habitude de sanctionner quasi systématiquement les entreprises, envoyant ainsi un signal parfaitement clair aux recruteurs : « surtout, embauchez le moins possible ou vous le paierez ! ». Quant aux accords de branche, ils présentent deux défauts. D’une part, de nombreuses branches sont sclérosées et ne font jamais évoluer les conventions collectives, ce qui ajoute au marché du travail une couche de rigidité. D’autre part, dans une économie qui subit un mouvement de « destruction-créatrice » inédit par son ampleur et sa vitesse, les performances des entreprises, en matière de productivité et de rentabilité, sont de plus en plus dispersées. A la limite, c’est la notion même de secteur qui est remise en cause. Quel rapport entre une entreprise de textile traditionnelle et une startup qui produit des vêtements recyclables à base de biotechnologies et de nanotechnologies de pointe ?
Il s’agit de faire en sorte que le marché du travail retrouve de la souplesse.
Voilà donc les raisons qui justifient que les accords d’entreprises priment enfin sur les accords de branche dans le cadre d’une loi qui se contente de fixer des principes généraux. Mais attention : pour que cette réforme engendre confiance et résultats, elle doit être ambitieuse et ne pas perdre de vue son objectif ultime : contribuer à la baisse du chômage. Mettons les pieds dans le plat : il s’agit de faire en sorte que le marché du travail retrouve de la souplesse. Ainsi, le spectre couvert par les accords d’entreprises doit être le plus large possible. Voilà qui demandera au Gouvernement courage et pédagogie. Un test intéressant pour nous, qui attendons beaucoup et espérons pouvoir reprendre, vraiment, confiance.
Article publié dans L’Express le 28 juin 2017