Le Figaro / Ras-le-bol de Martine Aubry


24 septembre 2015

Lire la tribune sur le site du Figaro.

Peu importe si Macron provoque le Parti socialiste par pure stratégie personnelle. Peu importe, à l’extrême limite, de savoir si François Hollande est d’accord ou pas car l’essentiel n’est pas là. Les réactions aux désormais régulières «petites phrases» d’Emmanuel Macron (qui n’ont d’ailleurs pas grande chose de «petite», mais c’est l’expression consacrée) nous disent quelque chose d’extrêmement profond et inquiétant sur la situation du débat politique dans notre pays: peu importe qui a raison, la règle est de raconter n’importe quoi et d’éviter que le débat porte sur la véracité des arguments. Le relativisme est total. Sinon, comment laisser Martine Aubry distiller sans rire cette perle: «en période de crise, on a jamais eu autant besoin de fonctionnaires»?

J’ai presque honte de devoir rappeler ces quelques chiffres, que tout bon citoyen devrait connaître: 24% des actifs français sont fonctionnaires contre 15% en moyenne dans les pays de l’OCDE. En Allemagne et en Autriche, pays proches du plein-emploi, ce chiffre tombe à 10%. Quel raisonnement de bazar permet d’affirmer que créer des postes dans la fonction publique permet d’améliorer le bien-être d’une population? Cela peut, dans certains cas particuliers, et dans certains secteurs particuliers, être le cas, mais ce n’est pas une règle générale au contraire. S’il est encore possible de ramener le débat vers l’important, puis-je faire remarquer que créer des emplois publics génère un double effet d’éviction? Effet d’éviction financier puisque les salaires sont payés grâce à l’impôt ou à la dette, ce qui déplace des ressources du secteur privé vers le secteur public ; effet d’éviction humain quand le secteur public est en concurrence avec le privé (le secteur hospitalier par exemple, mais Martine Aubry semble ne pas connaître l’existence de cliniques privées). Les chiffres sont cruels: la création de 100 emplois publics entraîne la disparition de 150 emplois privés. Ainsi, créer des emplois publics pour lutter contre le chômage revient à s’éloigner de l’objectif que l’on s’est fixé, tout en ruinant l’Etat, c’est-à-dire le contribuable.

Mais il y a autre chose, quelque chose d’effrayant. Martine Aubry affirme de Macron qu’il est un «ancien fonctionnaire, certes devenu banquier d’affaires». Tout le scandale est dans ce «certes». Que signifie-t-il? Que l’on pense, non avec sa tête mais avec sa classe sociale? J’ai moi-même vécu dans un environnement aisé dans ma jeunesse. Est-ce-à dire qu’il m’est interdit de réfléchir au problème de la pauvreté dans notre pays, qui visiblement n’intéresse pas grand monde puisqu’on n’en parle quasiment jamais? Comment, au XXIème siècle, supporter ce marxisme de comptoir qui nie presque ce qui différencie l’homme de l’animal: sa capacité à s’arracher à ses origines géographiques ou sociales.

Les commentateurs de ces petites phrases ne voient que la querelle politique qui cache cependant l’essentiel. Le débat se complait dans ces polémiques car il a perdu toute rationalité. Oh qu’elle est loin la dialectique philosophique rationnaliste! Qu’il est loin l’esprit des Lumières! En réalité, nous nous éloignons de nos traditions. Dans le débat économique, tout se vaut désormais, d’autant que l’esprit public estime que les économistes se trompent (ce qui est faux dans la plupart des cas) et ne sont d’accord sur rien (alors qu’ils sont quasiment d’accord sur tout). Très loin des «evidence based policies» chères aux anglo-saxons, la France nage dans le remugle des «emotional based policy». Les diagnostics de ceux qui savent sont déconsidérés, parfois en raison de l’origine de classe de ceux qui les émette. Le vrai déclin d’un pays, c’est peut-être très exactement cela: quand un responsable politique nie l’évidence, et quand, au lieu de scandaliser, cela amuse.