Sauvons la zone euro
Sans changements profonds dans sa gouvernance et sa politique économique, la zone euro ne survivra pas. Une zone monétaire unique exige des économies flexibles, où les salaires augmentent là où la productivité s’envole, mais où ils peuvent baisser là où l’investissement fléchit. Elle requiert des Grecs des Espagnols prêts à déménager pour aller habiter en Autriche ou en Allemagne, des Parisiens et des Napolitains enthousiastes à l’idée d’aller travailler à Rotterdam, tout ce petit monde maîtrisant bien évidemment l’anglais voire la langue du pays d’accueil. Chacun voit bien que ces conditions ne sont pas réunies et que la zone euro est loin d’être ce que les économistes appellent une « zone monétaire optimale ».
Le statu quo n’étant pas une option, deux cas de figure sont possibles : soit nous quittons la zone euro, soit nous la réformons.
Comme l’a rappelé récemment le prix Nobel d’économie américain Paul Krugman (qui ne supportait plus d’être récupéré par le Front National), ne pas entrer dans la zone euro ou la quitter ne sont pas des décisions symétriques. On peut toujours envier rétrospectivement les performances macroéconomiques du Royaume-Uni ou de la Suède, qui ont conservé leur indépendance monétaire. En même temps, on pourra aussi se rappeler que ce sont surtout les réformes libérales menées dans ces pays il y a des décennies qui ont façonné leur prospérité actuelle. Dans le même sens, l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas ou le Luxembourg ont l’air de bien vivre leur appartenance à la zone euro. Mais surtout, sortir de la zone euro, ce n’est pas revenir au franc comme si on pouvait faire des arbres à partir du papier. Sortir de la zone euro, c’est changer de monnaie avec au moins trois conséquences certaines. Premièrement, un grand nombre d’investisseurs et d’épargnants iront placer leurs fonds et leurs économies dans des pays solidement ancrés à la zone euro pour éviter les effets de la dévaluation. Les banques allemandes, néerlandaises et luxembourgeoises s’en délecteront, mais le gouvernement français qui mènera cette politique devra mettre en place un contrôle des capitaux et limiter les retraits bancaires. On imagine la crise d’hystérie que cela provoquera à juste titre chez nos compatriotes. Deuxièmement, ces sorties de capitaux feront augmenter les taux d’intérêt, lesquels ont été maintenus à des niveaux très bas ces dernières années grâce à Banque Centrale Européenne et au bouclier allemand. Malheur à l’investissement et à la construction. Enfin, le changement de dénomination monétaire sera considéré par nos créanciers comme un défaut et empêchera, au moins pour quelques années, notre accès aux marchés financiers. Comment, dans ces conditions, rembourser les médicaments ou payer les fonctionnaires ?
Mieux vaut donc la réforme.
Les pays qui se sont engagés dans l’aventure dans la zone euro n’ont plus le choix. Pour assurer sa survie et éviter le chaos, l’Europe, et notamment l’Allemagne, doit accepter deux choses. D’abord, il faut de toute urgence constituer un large budget de la zone euro, réservé à l’investissement ou à des projets d’intérêt général communs (comme l’éducation), et validé par un parlement démocratique. C’est un superbe projet politique qui pourrait être impulsé par la France. Ensuite, il est absurde d’exiger de pays en récession des efforts d’austérité économiquement et socialement destructeurs. Il faut notamment accepter d’alléger sensiblement la dette publique grecque, là encore très rapidement. Sinon, ce magnifique et ambitieux projet économique et politique de l’euro deviendra notre pire cauchemar.
Article paru dans L’Express du 28 avril 2017