Le revenu universel: ni justifié, ni souhaitable, ni faisable!


Présidentielle2017 revenu universel
29 janvier 2017

Le débat sur le revenu universel prend une place grandissante dans la préparation de l’élection présidentielle, comme si nous n’avions pas de réformes plus urgentes à effectuer. Il m’avait semblé que le contrat de travail ou l’enseignement professionnel pouvaient faire l’objet d’utiles propositions mais la passion pour les débats abstraits l’a emporté. Alors tentons d’évacuer le sujet du revenu universel qui, en France, ne se fera jamais.

Certes, du pur point de vue intellectuel, le revenu universel ne manque pas d’attrait. Depuis Thomas More, la gauche le voit comme un moyen d’assurer une subsistance à tous, y compris à ceux que le travail dérange. Dans le XXIe siècle naissant, il rassure aussi ceux qui, comme Benoît Hamon, pensent que la mutation technologique en cours raréfie le travail. Depuis Milton Friedman, la droite libérale le voit à la fois comme un outil d’autonomisation des individus vis-à-vis des complexités bureaucratiques de l’Etat et comme un moyen économiquement optimal d’assurer la justice sociale surtout s’il est associé à une flat tax, c’est-à-dire d’un impôt à taux unique.
Il n’est pas justifié car le travail humain ne se raréfiera jamais.

Le problème, c’est que le revenu universel, en dépit la sympathie qu’il inspire, n’est ni justifié, ni souhaitable, ni faisable. Il n’est pas justifié car le travail humain ne se raréfiera jamais. La mutation technologique en cours qui associe l’intelligence artificielle à la robotique, à la génétique, aux nanotechnologies et à l’imprimante 3D, et qui est la plus importante depuis la Renaissance, entraîne une gigantesque mutation du travail. Mais mutation ne signifie pas disparition. Tant qu’il existera une différence entre la machine et l’humain (et cette différence existe bien), les deux seront des facteurs de production complémentaires et non substituables. La disparition du travail nécessiterait de subventionner les individus, la mutation du travail nous oblige à anticiper, former et flexibiliser.

Enfin, instaurer le revenu universel n’est pas faisable car son coût (entre 300 et 600 milliards d’euros) ne pourrait être éventuellement absorbé que par la suppression de toutes les aides sociales existantes

Formation professionnelle. C’est moins d’un revenu universel dont nous avons besoin que d’une réforme du marché du travail, de la formation professionnelle et de l’apprentissage. Le revenu universel n’est pas non plus souhaitable dans la mesure où sa simplicité, qui fait sa force, est aussi une grande faiblesse : verser 400 ou 500 euros à chaque individu, y compris ceux qui n’en ont pas besoin, n’exonérera pas l’Etat de s’intéresser davantage aux plus fragiles. Le système est ainsi amené à se compliquer sans fin pour ressembler in fine à celui qui aura été abandonné. La simplicité absolue est un « idéal-régulateur », mais elle ne fait pas une politique.

Enfin, instaurer le revenu universel n’est pas faisable car son coût (entre 300 et 600 milliards d’euros) ne pourrait être éventuellement absorbé que par la suppression de toutes les aides sociales existantes. C’est le rêve de certains libéraux mais il s’agit bien d’un rêve dans un pays où le simple fait d’évoquer le retrait de la prime de Noël versée aux personnes à faibles ressources vous fait passer pour une hyène dévoreuse de pauvres.

Fixons-nous donc un agenda de réformes moins ambitieux mais faisable et aussi efficace et juste : une réforme du marché du travail et de la formation qui augmente le taux d’emploi et un recentrage de notre politique de lutte contre la pauvreté avec le RSA comme outil exclusif en faisant en sorte que le travail paie toujours plus que l’inactivité. Même si l’intellectualisation fait partie du charme du débat public en France, un peu de pragmatisme ne fait pas de mal.

Tribune publiée le 22 janvier 2017 dans L’Opinion