Réformer l’État, promouvoir la politique


9 janvier 2019

Chaque ministère doit être recentré sur quelques missions, le nombre de strates hiérarchiques doit être radicalement abaissé. Le débat public établit traditionnellement une identité entre la réforme de l’Etat et la baisse de la dépense publique. La première serait au service de la seconde. Il ne faut pas s’étonner que ladite réforme soit sans cesse repoussée et que la dépense publique augmente sans discontinuer, la seule ambition des majorités successives étant de la « maîtriser ». 

Diminuer la dépense publique ne peut pas constituer un objectif final de la politique économique, et ce d’autant que, pour la majorité de nos concitoyens, une telle diminution est anxiogène. Elle évoque de multiples moins : moins d’écoles, moins d’hôpitaux, moins de commissariats, moins de gares… Après, les débatteurs de bonne volonté peuvent toujours expliquer qu’il ne s’agit pas de dégrader la qualité des services publics mais de rendre l’administration plus efficace, la bataille des idées est perdue. C’est que la politique a besoin de sens. Il faut expliquer pourquoi on réforme, quel est le projet. La finalité ne peut être exclusivement financière.

S’il est nécessaire de réformer l’Etat, c’est certes pour redonner de l’espace à la société civile (ce à quoi une baisse des prélèvements obligatoires participerait), mais aussi pour redonner du pouvoir à la politique et à la démocratie. Fort de 2,4 millions de fonctionnaires, l’Etat français est pléthorique (je ne compte même pas la fonction publique territoriale ici). Ce nombre lui donne un pouvoir d’autant plus important que nos fonctionnaires sont dans l’immense majorité compétents. 

Dans de nombreux ministères, ils maîtrisent les dossiers gouvernementaux sur le bout des doigts. Simplement, toute institution a tendance à vouloir perdurer dans son être et donc à asseoir son pouvoir. Cet Etat prend donc ses aises et suit sa pente naturelle, qui est de vouloir tout contrôler : les citoyens mais aussi les politiques.

Face à cette administration puissante, le pouvoir politique est souvent désarmé, d’autant qu’il a pris de mauvaises habitudes. D’une part, les gouvernements intègrent de plus en plus d’individus quasi inconnus et qui ont des difficultés à imposer leur point de vue. D’autre part, les majorités successives (l’actuelle ne fait malheureusement pas exception) appliquent des programmes qui ont été bâclés pendant les campagnes électorales. L’administration a de son côté le temps et la compétence. 

Le gouvernement se retrouve à improviser. La réforme de la taxe d’habitation, exemple parmi d’autres, illustre ce problème. Les mesures sur le pouvoir d’achat annoncées récemment par le gouvernement ont également donné lieu à d’homériques allers et retours entre le pouvoir politique et les administrations, admirablement décrits par un Gorafi drôle et réaliste : « Le gouvernement annule, puis rétablit, puis annule, puis rétablit, puis annule, puis rétablit, puis annule, puis rétablit… les mesures annoncées en novembre aux gilets jaunes. »

Pour que la politique retrouve du pouvoir, elle doit retrouver de l’oxygène. Evidemment, le recrutement des ministres doit être plus qualitatif. Mais l’Etat lui-même doit être moins pléthorique, moins directif, plus modeste. Chaque ministère doit être recentré sur quelques missions, éventuellement aidé par des agences indépendantes. Le nombre de strates hiérarchiques doit être radicalement abaissé. 

Le spoil system, qui consiste à nommer des hauts fonctionnaires qui sont en accord avec la politique gouvernementale, doit être véritablement appliqué. L’actuelle majorité a diminué le nombre de membres de cabinets ministériels, accentuant en cela le déséquilibre entre l’administration et le pouvoir ministériel, au profit de la première. Du coup, des ministres et des cabinets épuisés se battent pour faire appliquer leur propre politique par leur propre administration.

Le redressement de notre pays part de cette réforme de l’Etat. C’est une exigence économique, certes, mais aussi et surtout démocratique. 

Article publié dans L’Express le 26 décembre 2018