Le protectionnisme et le déclin de la civilisation
La popularité retrouvée du protectionnisme en dit long sur la confusion intellectuelle qui empoisonne le débat public, en France comme aux Etats-Unis. Le fait que, dans notre pays, ses principaux thuriféraires se sentent obligés d’y accoler un objectif connoté positivement (« intelligent » pour Marine Le Pen, « solidaire » pour Jean-Luc Mélenchon) montre que même eux ne sont pas à l’aise avec le sujet. Leur gêne, qui ne les empêche malheureusement pas de faire la promotion du protectionnisme, est parfaitement justifiée pour plusieurs raisons étayées par l’analyse et l’histoire économique. Premièrement, la mondialisation n’est pas responsable du chômage de masse. D’après les études académiques, la mondialisation occasionne parfois des pertes d’emplois (très limitées) mais, dans le cas le plus général, elle fait baisser le chômage, y compris dans les pays riches. Les délocalisations ne dérogent pas à cette règle. Parfois spectaculaires, elles correspondent par définition à des implantations françaises à l’étranger qui favorisent nos exportations… et donc nos emplois. Autrement dit, il n’y a strictement aucun bénéfice à attendre en termes d’emplois d’une politique protectionniste. La gauche radicale comme l’extrême-droite devraient médite cette phrase de Jaurès en 1889 : « on parle surtout de la concurrence étrangère et on néglige les autres causes du mal, même celles sur lesquelles on pourrait agir ». Deuxièmement, le protectionnisme a un coût caché dans la mesure où il correspond à une taxe sur les consommateurs. Ainsi, la taxe Obama sur les pneus chinois instaurée en 2009 a coûté selon le Peterson Institute un peu plus de 1 milliard d’euros aux consommateurs américains en une seule année, ce montant délirant pour protéger 1000 emplois. On aurait pu faire tellement mieux en affectant cette somme à la formation continue…
Contre-productif en soi, le protectionnisme est en outre anachronique. La mondialisation du 21ème siècle est d’une nature différente de celle du 19 et du 20ème. Aujourd’hui, ce ne sont plus seulement les biens industriels et agricoles qui circulent, mais les services, les investissements et la recherche et développement. En conséquence, ce sont les chaînes de valeurs des grandes entreprises qui sont mondialisées. Elles conçoivent, fabriquent, assemblent, distribuent des produits dans une multitude de pays. Ainsi, plus du tiers du commerce international est réalisé par des échanges à l’intérieur des entreprises elles-mêmes. Il suffit de regarder la chaine de production mondiale d’un Airbus pour comprendre que l’instauration de taxes protectionnistes sur les équipementiers aéronautiques américains et chinois désorganiserait et pénaliserait en premier lieu la compétitivité d’Airbus elle-même. Nos concurrents n’attendent que cela !
De la même façon qu’une grande partie de nos difficultés économiques viennent du fait que nous corrigeons les effets pervers de la dépense publiques par un surcroît de dépenses, les effets nocifs de la réglementation par de nouvelles réglementations, le protectionnisme prolifère quasi automatiquement. C’est une monture dont il est difficile de descendre quand on l’a enfourchée. C’est pourquoi les empires qui ont versé dans cette facilité, la Chine des Ming ou le Portugal du début du 16ème siècle, ont mis des siècles à s’en relever.
Article paru dans l’Express du 1er mars 2017