Proposition pour le pouvoir d’achat
De nombreux Français pensent que notre pays est inégalitaire. Il est pourtant l’un des plus redistributifs. Ils sont certains que les entreprises s’enrichissent de plus en plus. Pourtant, le taux de marge des sociétés non financières s’établit à 32% de la valeur ajoutée, soit son niveau moyen depuis une trentaine d’années. Ils considèrent que le pouvoir d’achat diminue. En fait, il augmente (bien que faiblement en raison de l’anémie de la croissance). De nombreux Français estiment que les plus riches paient peu d’impôts. Mais 10% des foyers fiscaux acquittent 70% de l’impôt sur le revenu et 1% un quart des recettes. La pédagogie économique souffre en France car l’économie est considérée comme une opinion et non comme un savoir. La vérité n’existerait pas. Les faits seraient sans valeur. C’est dramatique pour le débat démocratique.
Il y a peut-être une partie des Français qui suit mieux l’économie que les autres : les actionnaires individuels. Ils bravent le risque boursier pour contribuer à la liquidité des marchés, voire au financement des entreprises. De fait, ils sont obligés de s’intéresser aux affaires économiques : ils engagent leur argent. Cela dit, être actionnaire individuel est une activité de personne aisée et qui dispose de temps. Il est difficile pour les classes moyennes d’épargner ailleurs que sur des Livrets A et de l’assurance-vie. C’est l’un des arguments en faveur de l’actionnariat salarié. De Gaulle en avait eu l’intuition dès l’après-guerre. Il appelait cela la participation. Dans son esprit, il s’agissait de dépasser le communisme et le libéralisme. Cette idée grandiloquente est évidemment sans objet. Il estimait aussi que salariés et patrons devaient fixer les salaires ensemble. Cette proposition est aussi démagogique que sympathique. Reste l’argument le plus fort, contenu dans la sémantique gaullienne : l’association. Associer les salariés au capital de l’entreprise permet de les intégrer pleinement dans le jeu capitaliste, de réduire les inégalités et d’augmenter le pouvoir d’achat.
Sur cette question de l’actionnariat salarié, la France est en avance sur ses voisins. C’est paradoxalement en raison de la faiblesse de nos syndicats. Nos voisins allemands pratiquent la cogestion, mais leurs partenaires sociaux ne veulent pas que les salariés soient massivement actionnaires de leurs entreprises. Les employés considèrent que ce serait trop risqué. Les patrons rechignent à ce mélange des genres. En France, les salariés, peu représentés par leurs syndicats, détiennent directement près de 2,5% du capital des entreprises. Plus des trois quarts des grandes sociétés cotées ont ouvert leur actionnariat à des salariés qui sont même les premiers actionnaires du CAC40 : ils détiennent 3,5% de sa capitalisation. Plus chez Vinci ou Bouygues. Malheureusement, l’économie française est de ce point de vue coupée en deux univers : les grandes entreprises et les PME. Ainsi, seules 4% des entreprises non cotées ont ouvert leur capital à leurs salariés.
La loi Pacte contient plusieurs incitations afin de faire monter la part des salariés dans le capital des entreprises à 10%. Mais, pour atteindre cet objectif, outre une indispensable stabilité fiscale, il faudra aller encore plus loin ; par exemple, en facilitant la distribution d’actions gratuites. Dans son récent ouvrage (Voyage au cœur du « système »), Alain Minc propose de développer les actions sans droit de vote dans les PME. C’est courant aux États-Unis. C’est une excellente idée. Les patrons n’auront pas l’impression de perdre le contrôle de la gouvernance de leur entreprise. Les salariés seront associés à sa réussite car ils en seront co-propriétaires. Les Français seront moins anti-capitalistes dans leur tête quand ils seront plus capitalistes dans leur portefeuille.
Article publié dans L’Express du 6 mars 2019