Pour une réforme des programmes d’économie
Mon fils s’apprêtant à terminer sa troisième, je me suis penché sur les manuels d’économie de seconde. Ce qui m’a frappé est moins leur caractère politique prétendument ancré à gauche que leur extraordinaire ambition. S’il était maîtrisé, le programme de seconde ferait de nos élèves des spécialistes de la croissance, de la consommation, de l’équilibre des marchés et du chômage. Ils seraient aussi excellents en sociologie, puisque cette discipline est enseignée en complément de l’économie afin d’en contrebalancer la prétendue idéologie.
Pourtant, le débat public montre qu’il y a un gouffre entre l’ambition et la réalité de l’enseignement. L’immense majorité des personnes qui débattent ignore les bases de l’économie : la notion de croissance est confuse (on parle souvent de « richesse »), celle de productivité, pourtant principale source de croissance, reste inconnue, et la distinction entre chômage conjoncturel (qui dépend de la croissance) et chômage structurel (qui ne dépend pas de l’activité économique) est plus que floue. Bref, ce programme est peut-être enseigné, mais cela ne semble pas servir à grand-chose, sinon on n’entendrait pas des inepties du style « le patrimoine de telle personne est supérieur au PIB de tel pays » (comparer un stock et un flux n’a aucun sens).
L’équipe rassemblée autour de Philippe Aghion, l’un des meilleurs économistes français, afin de revoir les programmes de seconde a heureusement réalisé un formidable travail en proposant de recentrer les programmes autour de deux notions fondamentales : la rigueur du raisonnement et la micro-économie. Car, avant d’avoir un avis sur la politique budgétaire, la BCE ou la loi Pacte, il faut maîtriser quelques bases : quelles sont les spécificités du raisonnement économique ? Comment sont déterminés les prix ? Comment fonctionnent les marchés ? Comment les réguler quand c’est nécessaire ?
Derrière cette réforme des programmes d’économie réside un enjeu majeur pour notre démocratie : faire comprendre que l’économie relève de la connaissance et non de l’opinion. Car, quelle que soit la discipline ou quel que l’objet du débat, il existe des faits et une réalité, et toute tentative de les nier nous enfonce un peu plus dans la post-vérité. Depuis Robespierre, notre pays est obsédé par la politique et par la morale. Cela confère un grand charme au débat public, mais cela le tire parfois vers le bas. Ainsi disserte-t-on pour savoir si l’ISF est « juste » ou « injuste », sans d’ailleurs jamais définir la notion de justice (il faudrait aussi revoir les programmes de philosophie) mais on ne s’intéresse jamais à l’effet de la fiscalité du patrimoine sur l’accumulation du capital et donc sur la croissance. Une remarque du même ordre vaudrait pour le débat sur la privatisation d’ADP. Il s’est beaucoup dit qu’il ne fallait pas vendre une entreprise qui rapporte des dividendes à L’État, question à côté du véritable sujet, qui est celui du prix de la cession et de l’utilisation de l’argent ainsi perçu. A l’abri des faits et libéré de la vérité, la discussion s réduit à l’opposition d’opinions vaines et illusoires.
Dans son ouvrage L’aube des idoles publié aux Éditions de l’Observatoire, l’économiste Pierre Bentata montre que ce ne sont pas seulement les fake news qui envahissent le débat public, mais des religions sans dieu : le nationalisme new age, le véganisme ou le racialisme présentent comme point commun le fait de partir de présupposés arbitraires et de s’abstraire de toute réalité, plus encore que les idéologies d’antan comme le socialisme. Or la politique consiste justement à partir du réel pour le faire évoluer et aboutir à un objectif souhaité. On ne peut pas servir la justice, la liberté ou l’environnement si l’on ne comprend pas l’économie. Prétendre le contraire, c’est faire le jeu des totalitarismes qui se cachent derrière les pensées utopiques.
Article publié dans L’Express du 29 mai 2019