Les Echos – Vous craignez l’immigration ? Demandez la flexibilité !
Il est temps de rappeler que l’immigration n’est pas un problème en soi, mais une nécessité. Par Pierre Bentata et Nicolas Bouzou.
La situation des immigrés clandestins de Calais cherchant à rejoindre l’Angleterre a attisé le sujet toujours brûlant de l’immigration. Et, sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, la raison le cède à la passion. Sociologues, philosophes, politologues débattent quotidiennement des vertus et dangers de ces immigrés de plus en plus nombreux à vouloir rejoindre les pays les plus riches, mais les économistes, pourtant riches de données chiffrées et d’analyses quantitatives, sont silencieux alors que la peur de l’immigration relève avant tout de considérations économiques : crainte de la concurrence déloyale des étrangers, de la baisse des salaires, de l’augmentation du chômage ou de l’explosion des dépenses sociales. C’est en substance le message diffusé par les plus fervents opposants à l’immigration : « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ! », « trouvons d’abord un emploi à chaque Français avant d’en trouver aux étrangers »… Il est peut-être temps de rappeler que l’immigration n’est pas un problème en soi mais une nécessité.
Déjà, l’économie n’est pas un jeu à somme nulle où l’emploi de l’un fait le chômage de l’autre. Elle est organique c’est-à-dire qu’elle se développe grâce à l’action des uns et des autres. Plus nombreux nous sommes, plus les opportunités d’affaires se développent et plus on a besoin d’emplois pour satisfaire les besoins de chacun. Aux Etats-Unis par exemple, George Borjas, professeur à Harvard, observe que l’immigration légale et illégale produit 11 % du PIB en moyenne chaque année. Pendant la période étudiée (1990-2007), les revenus des ménages les plus pauvres (le premier quintile) ont augmenté de 10 %. Dans le même esprit, les études de Stephen Nickell et Jumana Saleheen sur l’Angleterre (où la part des immigrés est proche de celle de la France) ont montré que l’immigration au Royaume-Uni n’a eu d’effet ni sur les salaires ni sur le niveau d’emploi. Et cela vaut pour tous les secteurs, qualifiés comme non qualifiés. Encore moins intuitifs, Francesco d’Amuri et Giovanni Peri ont montré que l’immigration pouvait même augmenter le salaire des natifs car les migrants occupent les emplois les moins qualifiés, laissant les emplois les mieux payés aux résidents.
Le syndrome du plombier polonais serait-il un fantasme sans fondement ? Eh bien oui ! Si un immigré non qualifié entre sur le territoire et accepte une rémunération plus faible que ses homologues français, ne tire-t-il pas les salaires vers le bas et le chômage vers le haut ? Eh bien non ! En Angleterre, l’immigration massive de travailleurs non qualifiés, en particulier depuis 2004, a incité les entreprises à embaucher plutôt qu’à investir dans des machines destinées à remplacer le travail des hommes. En période de crise, les projets d’investissement sont coûteux et les risques grandissent ; l’immigration a donc été une aubaine. Les salaires n’ont pas baissé et le nombre d’emplois a augmenté. In fine, la question n’est pas celle des flux d’immigration mais celle de l’emploi, et c’est en ces termes que le problème doit être posé. Le financement de nos systèmes sociaux (surtout retraite et maladie), même réformés, nécessite une base démographique de plus en plus importante. Ce que la natalité ne nous donne plus, l’immigration doit pouvoir l’apporter. C’est ce qu’ont bien compris les Allemands, les Anglais ou les Suédois. L’économie française ne requiert donc pas moins d’immigration mais davantage sauf à assumer la faillite de l’Etat providence ! Mais l’immigration dont nous avons besoin doit travailler et cela passe, comme dans les pays cités, par un marché du travail flexible, avec des barrières à l’entrée – c’est-à-dire un coût du travail non qualifié – qui soient basses.
Dans ces conditions, ceux qui rejoignent notre pays participeront à la prospérité globale et ne resteront pas rejetés dans le chômage. A l’inverse, ceux qui veulent bêtement arrêter l’immigration doivent comprendre que cela ruinera un peu plus nos systèmes sociaux, lesquels n’en ont pas besoin.
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