Les Echos – Traité transatlantique : anticiper les effet défavorables
Publiée dans Les Echos cette tribune constitue le premier article du Cercle de Bélem qui rassemble des économistes et intellectuels européens. Le Cercle a été fondé par Nicolas Bouzou et Pierre Bentata, cosignataires de ce texte avec Stefano Adamo, Josef Montag, Jérôme Duval-Hamel, Mithat Melen et Démosthène Davvetas.
Si l’Europe dans sa globalité devrait bénéficier du traité de libre-échange, ce ne sera malheureusement pas le cas de chaque pays. Il faut donc s’y préparer.
Le traité transatlantique (TTIP) est souhaitable en soi dans la mesure où l’analyse économique a démontré depuis longtemps que le libre-échange était favorable à la croissance et à l’emploi. Pour s’en convaincre, il suffit d’envisager des barrières douanières, par exemple entre l’Ile-de-France et la Normandie : personne ne peut penser que le protectionnisme serait positif pour l’industrie du beurre et du camembert et pour les emplois autour de la capitale. Or ce qui est vrai à l’échelle locale l’est tout autant aux échelles nationale et continentale. Selon les travaux de la Commission, l’augmentation du commerce entre l’Europe et les Etats-Unis apporterait à l’Union 120 milliards d’euros de revenus annuels supplémentaires, soit 545 euros de revenu disponible pour une famille de 4 personnes. L’analyse des balances commerciales des deux zones montre en effet que des complémentarités existent. L’Europe est performante dans les produits pharmaceutiques, l’automobile, l’aéronautique et l’énergie, alors que les Américains exportent en immenses quantités de l’or, du pétrole, des vaccins et des équipements automobiles. Ainsi, la spécialisation américaine dans les vaccins va se renforcer, comme celle de l’Europe dans les médicaments. Le relâchement des restrictions commerciales va offrir de nouvelles opportunités pour les entreprises américaines et européennes.
Néanmoins, la macroéconomie ne nous dit pas tout. Ainsi, si l’Europe dans son ensemble bénéficie du traité de libre-échange, est-ce que cela sera le cas de chaque pays ? La réponse est malheureusement non, et c’est ce qui peut légitimement faire naître une certaine angoisse. Certains secteurs dans certains pays vont bénéficier du TTIP plus que d’autres. Par exemple, l’Allemagne produit près de 50 % de toutes les automobiles exportées de la zone. De son côté, la France est le principal exportateur d’équipements aéronautiques et représente 55 % des ventes européennes dans ce secteur. D’autres pays, comme la République tchèque, disposent d’avantages comparatifs dans l’industrie manufacturière ou l’agroalimentaire.
Les économistes connaissent ce résultat : quand les restrictions au libre-échange sont levées, les flux commerciaux se concentrent dans les secteurs et vers les zones géographiques les plus efficaces. La balance coût/avantage du traité pour chaque pays dépend donc de sa compétitivité relative dans les secteurs concernés. C’est pourquoi le TTIP aura un effet sur le marché du travail : en premier lieu, l’emploi en Europe va diminuer dans les secteurs où les Américains sont les plus forts ; puis l’emploi va augmenter en Europe, mais seulement là où nous sommes déjà les meilleurs : automobile en Allemagne, aéronautique en France, bière en République tchèque !
Ces conséquences, positives au niveau de la globalité de l’Union mais pas de chaque pays, posent la question de l’accompagnement de ce transfert de richesse à l’intérieur de l’Europe. Or, de ce point de vue, rien n’est réfléchi. Il y a pourtant urgence, plus du côté européen que du côté américain d’ailleurs, dans la mesure où notre marché du travail est très hétérogène et la libre circulation empêtrée dans la coexistence d’une vingtaine de langues. Si la théorie économique dit que l’Italien qui va perdre son travail pourra toujours aller travailler dans un centre de R&D toulousain, la réalité n’est pas celle-là. C’est pourquoi nous suggérons que l’Union réalise une cartographie de l’impact du traité par secteurs et bassins d’emploi. A partir de là, les Etats pourront, par exemple, calibrer une politique de formation professionnelle pour adoucir la transition. Si l’Union ne se prépare pas mieux à ce nouveau cycle d’ouverture commerciale, il est à craindre que la distance entre les Européens et les institutions européennes telles qu’elles fonctionnent s’accroisse un peu plus.