Les Echos – Pourquoi l'Europe pourrait perdre la Grèce


17 avril 2015

Tribune publiée avec Démosthène Davvetas, ancien conseiller du précédent Premier Ministre de la Grèce, Antonis Samaras. Lire l’article sur le site des Echos.

L’empressement d’Alexis Tsipras à se rendre à Moscou pour rencontrer Vladimir Poutine illustre la volonté d’éloignement de l’Europe de la géopolitique grecque et devrait nous réveiller quant aux intentions du Premier Ministre grec.

Pour justifier l’éloignement de l’Europe, en dehors des désaccords économiques, le Gouvernement grec mobilise deux types d’arguments : les uns sont historico-culturels et les autres sont géopolitiques. Les liens historiques et culturels qui unissent la Grèce et la Russie, c’est vrai, sont intenses et anciens. Les Russes sont des orthodoxes. Ils constituent la « progéniture » de la Byzance hellénico-chrétienne, laquelle avait envoyé en Russie des moines grecs orthodoxes à la demande de Pierre le Grand. Depuis cette époque, ces deux peuples attribuent une grande valeur à la relation entre leurs deux pays.

La géopolitique attise également la tentation russe. La position géographique de la Grèce au Sud, dans la partie orientale de la Méditerranée, est particulièrement intéressante. Un pays occidental dans les Balkans, à proximité de la Turquie et du Moyen-Orient, constitue un pont entre l’Ouest et l’Est et agit donc comme une porte d’entrée en Europe. Depuis des décennies en réalité, la Grèce constitue une zone de lutte d’influence entre les Russes et les Occidentaux, américains notamment.

Après la deuxième guerre mondiale, la guerre civile grecque entre les nationalistes et les communistes a jeté le pays dans les bras de l’Europe. Mais les aspirations de la Russie n’ont jamais cessé pour autant. Les Américains le savent et c’est pourquoi ils ont toujours fait en sorte de détourner ce qu’ils considèrent comme un danger par tous les moyens notamment en implantant une base militaire à Souda Bay en Crète.

Aujourd’hui, les nouvelles tentations économiques du Gouvernement grec changent la donne. Il faut bien comprendre les termes de l’équation : le gouvernement Tsipras a réussi en quelques semaines à détruire les résultats des efforts menés par les Grecs depuis plusieurs années. Ainsi, la confiance des chefs d’entreprises mesurée par la Commission Européenne connaît sa chute la plus rapide depuis 2010 et l’excédent budgétaire primaire (hors remboursement de la dette) a quasiment disparu.

En conséquence, les taux d’intérêt à 10 ans sont supérieurs à 10% contre moins de 2% pour le Portugal et l’Espagne. Le pays est soumis à un risque de crise bancaire sans équivalent depuis le début de la crise des dettes souveraines qui, s’il se réalisait, l’obligerait à imprimer sa propre monnaie et, de facto, à quitter la zone euro. La coalition extrême-gauche – extrême droite au pouvoir est aux abois et recherche à l’Est de l’Europe de nouveaux créanciers qui pourraient l’aider à se financer.

Finalement, le Grexit jetterait la Grèce dans les bras de Poutine qui investirait ainsi les réserves issues des excédents commerciaux russes dans l’influence géopolitique de son pays. Cette perspective commence à déplaire sérieusement aux américains, dont l’autorité dans la zone est déjà perturbée par la dégradation de leurs relations avec la Turquie. C’est bien pourquoi Washington fait tout ce qui est en son pouvoir pour adoucir les positions de Merkel et de Bruxelles et aboutir à une solution qui permette à la Grèce de rester dans la zone euro.

De son côté, Tsipras joue un jeu, non seulement catastrophique économiquement, mais dangereux géopolitiquement, en légitimant progressivement l’idée selon laquelle, pour la Grèce, Poutine vaut mieux que Bruxelles. Les européens non-grecs, qui agitent le spectre du Grexit comme une sorte de vengeance contre le peuple grec qui aurait mal géré ses affaires, devraient y réfléchir.


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