Les défis américains
Les Américains sont des épicuriens : ils valorisent le présent et s’intéressent peu au passé. Quant à l’avenir, ils verront bien. En témoigne leur politique économique. Aujourd’hui, tout va bien. La croissance du PIB tourne autour de 3% et le taux de chômage est inférieur à 4%. Certes, la part des personnes actives dans la population recule mais c’est avant tout lié aux départs en retraite.
Le problème, c’est que cette croissance est en partie un prélèvement sur le futur. Le président Trump a opéré des baisses d’impôts massives, surtout pour les entreprises, et les dépenses publiques ne sont pas contrôlées. En outre, le règlement des intérêts de la dette s’envole. Ainsi, le déficit public sera passé à 4% du PIB cette année après 3,5% en 2017. La politique trumpienne fait augmenter les déficits alors même que la croissance est forte et le pays au plein-emploi, comme un chauffard accélère dans la descente. Tout ceci se paiera un jour sous forme d’augmentation des taux d’intérêt et de récession (et donc de ralentissement aussi en Europe) mais de tout cela, le président américain n’a cure.
En sus de ce renversement de cycle prévisible, l’économie américaine doit faire face à la compétition montante de la Chine dans les technologies de la troisième révolution industrielle, et dans l’intelligence artificielle en particulier. C’est là que réside son principal défi à terme. Dans un livre fascinant (AI Superpowers, publié chez Houghton Mifflin Harcourt) le capital-risqueur chinois Kai-Fu Lee montre le développement fulgurant des startups chinoises, qui bénéficient d’un total soutien de l’Etat, d’un pool d’ingénieurs illimité et surtout d’une envie insatiable de croître. Kai-Fu Lee rappelle que ce n’est pas la philosophie de Confucius qui domine la Chine mais le matérialisme utilitariste le plus brutal. Les dirigeants d’entreprises chinois sont obsédés par l’enrichissement et cette fin justifie les moyens, ce que le Parti communiste voit d’un œil bienveillant. De ce point de vue, les Etats-Unis, y compris la Silicon Valley, ressemblent davantage à l’Europe qu’à l’empire du Milieu. Pour Kai-Fu Lee, l’économie chinoise devrait être capable d’accélérer son rattrapage vis-à-vis des Etats-Unis pour devenir la nouvelle hyper-puissance.
D’ailleurs, la problématique politique globale se pose de la même façon aux Etats-Unis et en Europe (mais sans rapport évidemment avec la problématique politique chinoise) : comment « faire Société » alors que la mondialisation et la « destruction-créatrice » schumpeterienne secouent le corps social comme une lessiveuse. Les partis populistes ont le mérite de réponse à cette question : le nationalisme est le but, le protectionnisme ou l’interventionnisme sont des moyens. Face à cela, nous qui n’aimons guère le populisme, nous devons être capables de proposer des solutions concrètes aux perdants de la troisième révolution industrielle et de bâtir un discours positif sur l’avenir. Ce à quoi les démocrates américains ont lamentablement échoué pendant la campagne des mid-terms, tout occupés qu’ils sont par le différencialisme et la discrimination positive. Ils ouvrent ainsi à Trump un boulevard pour 2020. Car les ouvriers de l’Ohio s’intéressent moins à la défense des transsexuels afro-américains qu’à leurs propres soucis de santé et à l’éducation de leurs enfants. Si ceux qui se qualifient de progressistes ne peuvent pas comprendre ça, les populistes ont gagné.
Article publié dans L’Express du 14 novembre 2018