Un seul acteur au bout du compte
En réalité, l’enjeu pour la FNAC comme pour les autres et même pour l’industrie musicale dans sa globalité est colossal puisqu’au bout du compte risque de ne subsister qu’un seul acteur de streaming. Il suffit de regarder les grande marques présentes en ligne pour comprendre qu’internet est un formidable système à tuer la concurrence pure et parfaite. La musique confirme cette règle : en France, Deezer concentre 65% du streaming, iTunes 77% du téléchargement et Youtube 84% des vidéos musicales. La concentration est comparable pour les moteurs de recherche (Google) et les réseaux sociaux (Facebook), mais aussi sur des marchés plus spécifiques.
Coûts d’entrée élevés, coût marginal faible: l’apanage des marchés oligopolistiques
LaFourchette, LeBonCoin, Ventesprivées, sont leaders incontestables sur leurs créneaux respectifs. Le caractère quasi-monopolistique de l’économie sur Internet s’explique par trois singularités. Tout d’abord, le coût d’entrée sur un marché qui nécessite un déploiement R&D et des investissements conséquents est très élevé. Ensuite, le coût marginal est quasi-nul: accueillir un titre ou une écoute supplémentaire sur iTunes ne coûte presque rien. Des coûts d’entrée élevés et un coût marginal faible sont l’apanage des marchés oligopolistiques.
Seulement, sur Internet, un troisième facteur crucial entre en jeu: les consommateurs peuvent facilement comparer les offres et choisir le meilleur produit. Un phénomène de fly to quality est donc à l’œuvre et rapidement, l’offre la plus performante en matière de ratio qualité / prix remporte la presque totalité de la mise.
Une diffusion très concentrée : un pouvoir de négociation nul pour les artistes
Il y a fort à parier que de Deezer, Spotify, Qobuz, Streamus ou Fnac Jukebox, le meilleur l’emportera. Un enjeu sensible découle pourtant de cette perspective monopolistique : celui de la répartition des revenus dans la filière musicale. Le streaming permet en théorie de redonner à la musique son caractère marchand et ainsi de rémunérer à nouveau les artistes et leurs producteurs. Le problème, c’est que si la diffusion physique était déjà fort concentrée (les trois majors Universal, Sony et Warner représentant 95% du marché), la diffusion numérique risque de l’être plus encore.
Dès lors, le pouvoir de négociation des artistes devient presque nul. Une chose est sûre : après avoir mis en lumière le problème de la marchandisation des contenus culturels, de la traçabilité des consommateurs et du respect des droits de propriétés sur Internet, le secteur de la musique risque de soulever un nouvel enjeu de l’économie numérique : les monopoles du web.
La concurrence, un bon moyen de répartir les revenus
Or le jeu concurrentiel est un moyen efficace pour répartir justement les revenus dans une filière via la négociation entre acteurs. Dans un système où la concurrence fait défaut, l’acteur monopolistique peut facilement capter plus de valeur qu’il n’en crée. Pour parler comme un vieux marxiste, la force productive, ici l’artiste, est exploité car le rapport de production lui est défavorable.
Certes, le droit de la concurrence prévoit des sanctions financières pour abus de position dominante. Cependant, sur Internet, la généralisation des monopoles risque de donner un poids démesuré aux décisions judiciaires et de transformer les juges en arbitres des prix. Une réflexion renouvelée sur ces questions est indispensable : alors que la régulation des prix et des revenus par le libre jeu de la concurrence est un fondement de l’économie de marché, les nouveaux secteurs de notre économie y contreviennent naturellement et structurellement.
Rédigé par Nicolas Bouzou et Charles-Antoine Schwerer. Publié sur le site de La Tribune le 21/03/2014. Accéder à l’article sur le site La Tribune.fr
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