La Grèce va mieux, aidons-la


13 juin 2018

©Louisa Gouliamaki/AFP

 

Athènes souffre d’une piètre réputation. La ville encaissée, serait polluée, dégradée. C’est vrai mais c’est aussi une grâce d’être entourée de collines où est née notre civilisation. Parti il y a quelques jours y conférer comme chaque année, j’ai me suis retrouvé dans une métropole vibrionnante, entre l’Europe et l’Asie. Athènes est pour moi européenne par l’histoire et asiatique par le style : la densité, le désordre, la sensation de ne pas être dans un pays obsédé par le principe de précaution. La circulation est anarchique, les motards inconscients prennent la liberté de ne pas mettre de casque et les fêtards de Psirri chantent dans la rue à 3 heures du matin.

 

Cette agitation, que l’on retrouve dans les autres grandes villes du pays, est un signe de reprise économique. La croissance du PIB dépassera 2 % cette année, et le chômage est descendu de 27 à 20 %. Les finances publiques, elles, ont opéré un redressement spectaculaire. En 2017, le budget a affiché un excédent global de 0,8 % du PIB et un excédent primaire (hors service de la dette) de 4 % du PIB. La dette publique grecque recule. C’est pourquoi, dès cet été, le pays va reprendre son autonomie financière et s’extraire de la tutelle des plans de soutien de l’Union Européenne et du FMI.

 

La Grèce tire les bénéfices de la politique déflationniste conduite par les gouvernements menés successivement par Antonis Samaras (de droite) et Alexis Tsipras (de gauche, que les chauffeurs de taxis qualifient de menteur ou de génie). Cette politique difficile n’était pas une option. Un pays dont la compétitivité se dégrade avec le temps peut, s’il dispose d’une monnaie nationale, remettre de temps en temps les compteurs à zéro avec une dévaluation. Avant l’euro, l’Italie ou la France ont pratiqué cette politique avec profit. Il s’agissait de faire baisser artificiellement la valeur de la monnaie pour aider les exportateurs, au détriment du pouvoir d’achat des ménages qui achetaient des produits importés plus chers. Les dévaluations des années 1980-1990 consistaient à transférer sans le dire des capacités financières des particuliers vers les entreprises. Depuis l’euro, ces politiques sont devenues par construction impossibles. Un pays qui, comme la Grèce, voit sa croissance potentielle se dégrader, doit retrouver de la compétitivité « par lui-même » en diminuant les prix à l’exportation et les coûts de production. Or, diminuer les coûts dans une économie développée, c’est faire augmenter le chômage.

 

Le coût social du redressement économique et financier grec a été abominable. Il suffit d’entrer dans un hôpital pour le voir. C’est pourquoi il serait bienvenu que les créanciers du pays réduisent fortement la dette de la Grèce, ce qui lui permettrait de reconstruire son Etat-providence et de reconstituer ses capacités d’investissement public. Plus de 40 % des jeunes actifs grecs sont au chômage. C’est une génération qui a été sacrifiée. Nous sommes là au cœur de la problématique de la zone euro. Nos populistes du Front national ou de la France insoumise nous expliquent que tout le mal vient des traités européens. C’est une erreur d’analyse grosse comme l’Acropole. La Grèce, l’Italie ou la France ne souffrent pas d’être membres de l’Union Européenne, mais de la zone euro, c’est-à-dire d’un ensemble économique où seule la vertu économique permet la survie.

Il n’y a qu’une alternative pour les pays de la zone euro : soit ils se développent à partir de l’investissement et de l’innovation, soit leurs gouvernements vont exercer leur lâcheté macroéconomique ailleurs. C’est un choix incroyablement engageant. C’est pourquoi il est peut-être temps d’admettre que certains pays ont, après tout, le droit de sortir de la zone euro pour mener leur populisme économique en toute liberté et sans handicaper ceux qui veulent approfondir une union monétaire durable et prospère, dont la Grèce doit faire partie.

 

Article publié dans L’Express du 6 juin 2018