La blockchain, un défi pour la France


4 avril 2018

 

Les entreprises, les médias et les politiques sont désormais obnubilés par l’intelligence artificielle. Comment ne pas s’en réjouir ? La mondialisation et l’innovation constituent l’infrastructure du XXIe siècle. Ne pas les comprendre voire les ignorer relève du suicide. Il est donc jouissif que Laurent Alexandre soit devenu une star de l’édition et Cédric Villani de la politique. Le problème, c’est que, pour la France (et l’Europe), la bataille de l’intelligence artificielle est sans doute déjà perdue pour une raison liée à la nature même de cette technologie. En effet, la qualité de la décision prise par les algorithmes dépend moins du génie de leurs concepteurs que de la quantité de données qui les alimente. Malheureusement, dans la course au big data, la Chine et les Etats-Unis ont pris une centaine de tours d’avance. Alibaba, WeChat, Instagram ou Google aspirent des données comme aucune entreprise européenne n’est capable de le faire au centième. Considérer que les problèmes de Facebook constituent une opportunité pour l’Europe est d’une confondante naïveté. D’un côté, la GPRD qui protège nos données freine la capacité d’expansion des acteurs européens. De l’autre, les acteurs Chinois comme Tencent sont prêts à remplir le vide éventuellement laissé par un acteur américain.

C’est pour ces raisons que la politique de l’innovation en France devrait se consacrer, non plus exclusivement à accélérer dans une course qui est perdue, mais à prendre le départ d’une nouvelle compétition : la blockchain. C’est ce qu’a annoncé il y a quelques jours Bruno Le Maire, affirmant que « nous ne raterons pas la révolution de la blockchain », exhortation bienvenue puisque nous avons raté chacune des révolutions technologiques précédentes. La blockchain est une technologie numérique qui permet d’effectuer des transactions sur un réseau, d’en assurer l’intégrité et la traçabilité. Ces caractéristiques peuvent sembler triviales mais elles ne le sont pas. Les transactions sur internet sont aujourd’hui centralisées comme l’illustre l’explosion des plateformes telles qu’Airbnb ou Uber. La blockchain permet au contraire d’effectuer des transactions « de pair à pair », payables au moyen de « cryptomonnaies » dont le bitcoin est l’exemple le plus médiatisé. En théorie, la blockchain peut transférer de l’argent en toute sécurité et sans intermédiaire, vendre un titre de propriété immobilière sans conservation notariale ou bâtir un registre d’Etat civil sans l’Etat. Les projets blockchain se financent grâce à des ICO (Initial coin offerings), sortes de levées de fonds où sont émis des tokens (jetons), achetables en cryptomonnaies, qui peuvent conférer un droit de propriété sur l’entreprise ou être simplement des sortes de bons d’achat de ses services.

La fortune de la France, c’est que les cryptomonnaies, assises sur les technologies blockchain, ont mauvaise presse auprès des gouvernements car elles peuvent être facilement utilisées pour des activités illégales. La Corée les déteste, la Chine s’en méfie, l’Europe s’en désintéresse. Seul le Japon a adopté à leur égard une approche ouverte. La France a donc pendant quelques semaines une superbe carte à jouer : mettre en place un cadre législatif libéral et sécurisant pour faire de Paris la capitale mondiale des ICO. Bruno Le Maire souhaite permettre à l’AMF de délivrer un visa aux entreprises émettrices de tokens en fonction de critères de transparence pour protéger les épargnants. C’est une excellente idée qu’il faut coupler à la mise en place d’une fiscalité non dissuasive. Par exemple, les plus-values réalisées grâce aux tokens pourraient être soumises au prélèvement sur le capital de 30%. Ce combat économique est un risque car ces technologies sont embryonnaires et le modèle économique pas encore stabilisé. Mais il vaut d’être couru.

 

Article publié dans L’Express du 28 mars 2018