L'Opinion / Les vertus de l'immitation
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Faut-il à tout prix poursuivre la course épuisante à l’innovation, dans le seul but de survivre et au risque de faire de la nouveauté un simple instrument et non un objectif ? Conseiller à des entreprises ou à des gouvernements de faire passer l’innovation au second plan peut sembler baroque, surtout dans une période marquée par l’émergence des NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, information et sciences cognitives) et leurs avatars comme la robotique ou l’imprimante 3D. L’avènement des NBIC sera l’élément civilisationnel fondateur du XXIe siècle, comme l’ont été les instruments de navigation et l’imprimerie à la Renaissance. L’affaire est donc sérieuse.
Ceci dit, la tempérance n’est pas une vertu cardinale pour rien. Et 2500 ans après Platon, l’économiste de Stanford Christopher Tonetti défend avec toute la rigueur scientifique requise une idée forte et opérationnelle pour les dirigeants d’entreprises européens comme pour les responsables de gouvernements : prendre le temps d’observer et d’imiter est parfois plus rentable qu’innover. J’avais moi-même développé une intuition similaire (mais seulement une intuition), remarquant par exemple qu’un pays « innovant » comme Israël obtenait des performances macroéconomiques moins bonnes qu’un pays « imitateur » comme Singapour (les deux pays se suivaient économiquement jusqu’au début des années 1990, mais maintenant le PIB par habitant de Singapour est de 50 % supérieur à celui d’Israël). Christopher Tonetti montre que la stratégie d’imitation peut, dans certaines circonstances, être optimale au niveau de l’entreprise comme au niveau d’un pays.
Il ne s’agit pas de nier ces NBIC, bien au contraire, mais de faire comprendre que même dans une période comme celle-ci, être suiveur n’est pas forcément un problème. Bien sûr, à l’échelle globale, il faut des innovateurs, à l’image des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Mais à l’échelle d’une entreprise ou même d’un pays, il peut être aussi optimal de laisser les précurseurs innover, éventuellement se tromper, réessayer… pour implanter quelques années plus tard chez soi les innovations dont il est avéré qu’elles font économiquement sens. Le timing est clé et dans toute stratégie d’imitation, la réactivité et la capacité d’exécution sont décisives. L’imitation bien comprise n’est pas faite pour les gens assoupis.
Les Etats-Unis sont un pays innovateur où les nouveautés arrivent très vite sur le marché. L’Europe innove parfois mais un gap technologique et économique avec les Etats-Unis perdure. Ainsi, pour continuer de croître, l’Europe doit se soucier de l’innovation, mais sans en faire une obsession absolue. Il existe dans nos pays des gains de productivité latents énormes dans nos entreprises traditionnelles si elles sont capables de s’ouvrir sur le monde et sur les meilleures technologies étrangères pour les importer. Nos vieilles industries doivent se robotiser, nos vieux commerces doivent passer au multicanal, nos vieux artisans utiliser des imprimantes 3D, nos vieux hôpitaux doivent investir dans le séquençage du génome et la robotique. Certes nous ne serons pas les initiateurs de ces innovations mais après tout, faisons fi de notre orgueil, l’important est qu’elles existent. En revanche, nos entreprises et nos pays bénéficieront d’une croissance qui permettra à l’Europe de rester le continent de la dolce vita dans la prospérité.