Il faut pousser la décentralisation encore plus loin !


Alain Rousset Décentralisation Martin Malvy Nicolas Bouzou
16 mai 2014

Deux ouvrages, celui d’Hubert Védrine et celui de Philippe Aghion, Gilbert Cette et Elie Cohen, analysent avec talent et en profondeur la réticence française à la réforme. La comparaison avec les autres pays européens, très documentée, est éclairante sur les redressements opérés chez nos voisins, pas seulement sur le plan budgétaire mais aussi en termes d’emplois, d’ascenseur social, d’espérance de vie… L’accélération de la réforme territoriale par le président de la République et le Premier ministre nous invite à approfondir la réflexion.

Et si notre modèle centralisé, jacobin, où l’Etat reste l’opérateur, le prescripteur, voire l’opérateur en presque tout, en éloignant l’exercice du pouvoir du citoyen, en maintenant dans les faits une société de sous-traitance (Etat-collectivités locales, grands groupes-PME, financement de l’économie) était la cause culturelle, sociale, économique des blocages français ? La comparaison avec les pays d’Europe du Nord notamment montre à l’évidence que la décentralisation de pans entiers de l’action publique a amélioré la santé (espérance de vie), l’ascenseur social et les apprentissages de base à l’école, le redressement économique et industriel, la transition énergétique.

Quand une responsabilité est exclusivement décentralisée, elle est mieux et plus justement exercée. De l’équipement en maison de retraite, de la modernisation et de l’ouverture de nos lycées professionnels, des TER à l’accompagnement des PME. Un exemple est limpide : lorsque les régions ont pris la compétence de formation des infirmières et aides-soignantes avec la gestion des techniciens et ouvriers de l’Education nationale, elles ont trouvé de la précarité, de l’inégalité dans les bourses aux étudiant(e)s infirmier(e) s et aides-soignant(e)s dans un même territoire régional. Tout cela a été remis d’aplomb.

Le paradoxe du modèle centralisé en France est qu’il émiette le pouvoir territorial, surenchérit la dépense publique, rallonge le temps de la décision, déresponsabilise les exécutifs territoriaux. En d’autres termes, en ne précisant ni ne spécialisant suffisamment les compétences transférées il ne permet ni l’exercice démocratique citoyen (je juge une action précise) ni une régénération du politique et de ses compétences. L’exemple parfait est celui du service public de l’emploi : en Bretagne, Aquitaine ou Midi-Pyrénées, plus de 170 organismes concourent à l’accompagnement des chômeurs ou la réponse aux besoins d’embauche des entreprises. Les agents ne sont nullement en cause, c’est l’organisation qui n’est pas pilotée.

Culturellement, l’accompagnement des entreprises et la formation des chômeurs, la gestion du surendettement comme de l’insertion, le développement de l’économie sociale et solidaire comme celui des start-up technologiques, l’apport en fonds propres et la transition énergétique, donnent par l’effet naturel de proximité une connaissance des problèmes de la société actuelle autrement plus efficace que de s’en remettre à l’Etat. L’étonnant et souvent affligeant spectacle des questions au gouvernement donne la mesure de la vétusté de notre organisation politique et publique. L’Etat, le gouvernement sont responsables de tout… dans un monde de réseaux !

Bien sûr, il faut prendre le pari de l’émulation et de la différentiation. Mais cela ne vaut-il pas mieux que l’illusion d’égalité que semble promouvoir… le maintien du réseau des sous-préfectures ? Et d’ailleurs le modèle décentralisé est comparable à celui de l’innovation… il se diffuse par le bas et non par le haut.

De toutes les organisations, seuls les pouvoirs publics ne se sont pas réformés ! Et seule une décentralisation audacieuse, simplifiante, obligera l’Etat à se réformer en se rapatriant sur ses compétences régaliennes et sur son rôle de stratège et d’émetteur de normes. La mère des réformes structurelles est à portée de main.

 

Texte rédigé par Nicolas Bouzou, directeur fondateur d’Asterès, et Alain Rousset, président du Conseil régional d’Aquitaine et président de l’Association des régions de France, pour le compte du journal Les Echos (lien de l’article).

 

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