Il faut revoir le financement des syndicats
La réforme du syndicalisme est centrale. On ne peut gouverner par ordonnance que pendant une période limitée (limitée de toute façon par le Parlement mais la limitation est aussi politique).
Rappel sur le taux de syndicalisation (recul commun à tous les pays développés mais niveau plus faible en France). Pas de représentativité des statuts précaires et des temps partiels, sous-représentation des ouvriers. Présence de « déserts syndicaux » notamment dans les services ou le commerce. Cevipof : 27% des Français font confiance aux syndicats. Seuls les médias et les partis politiques sont en-dessous. C’est d’autant plus problématique que le taux de couverture des salariés par les conventions collectives est de 98% et que 40% des salariés ont un syndicat sur leur lieu de travail (répartition très inégalitaire toutefois). En outre, depuis 2007, les partenaires sociaux sont, en théorie, des pré-législateurs. Donc syndicats pas représentatifs mais avec un impact important. Au niveau mondial, corrélation positive entre taux de syndicalisation et efficience du marché du travail.
La suppression de la présomption irréfragable de représentativité en 2008 a renforcé la CGT et la CFDT mais n’a pas permis l’émergence de nouveaux syndicats réformistes et elle n’a pas incité les Français à adhérer davantage. Elle a renforcé l’impact des syndicats mais pas leur compétence ni leur représentativité.
Le principal problème est à la racine du syndicalisme français : c’est son financement qui la détourne de l’intérêt général des salariés et plus encore de l’intérêt général des actifs. Le financement des syndicats se fait surtout par fonds publics et mises à disposition (on parle de 40 000 ETP !), ce qui constitue une subvention géante et cachée. Les cotisations représentent de 15 à 20% des ressources contre 85% en Suède. Institutionnalisation renforcée par le paritarisme généralisé qui fait des syndicats des gestionnaires à la recherche de mandats et coupés de leur base et pas des réformateurs. Dans les faits sont traités les classifications des métiers et les minima salariaux mais très peu la GPE ou la GPC. Pas de compétences fortes pour réfléchir aux sujets nationaux (formation, chômage, temps partiel…).
Ce financement créé des effets pervers majeurs car il n’existe aucune incitation à aller rechercher le « salarié médian » et encore moins à convaincre les demandeurs d’emplois. La stratégie rationnelle des syndicats est donc :
– De maintenir leurs ressources publiques déclarées ou cachées, c’est-à-dire de conserver un fonctionnement complexe et opaque ;
– De satisfaire leurs adhérents existants qui constituent, surtout pour la CGT, la frange la plus conservatrice des salariés.
Dans la pratique de la négociation, les syndicats ne sont ni assez compétents ni assez représentatifs pour gérer le poids qui repose sur leurs épaules, surtout depuis 2012 (Bertrand Martinot estime que la faiblesse programmatique de François Hollande en 2012 a reporté vers les syndicats un niveau de responsabilité auquel ils ne peuvent pas répondre). L’Etat était beaucoup plus présent sous le quinquennat précédent, ce qui pose aussi des problèmes.
On pourrait résumer la situation en disant que nous avons des syndicats de conviction et de conservation alors que nous avons besoin de syndicats de service et d’intérêt général. Diminuer fortement les financements exogènes serait en outre un retour à l’esprit originel du syndicalisme qui est celui du mutualisme.
Proposition de réforme immédiate : le fond paritaire issu de la réforme de la formation pro pourrait allouer les ressources non plus en fonction des suffrages obtenus aux élections professionnelles mais du nombre d’adhérents (ou un mixe des deux).
Article publié dans L’Express du 14 juin 2017