Entretien L'Expansion – Chômage "On pourrait s'apitoyer si on était désarmé"


25 février 2015

Lire l’entretien sur le site de L’Expansion.

Tout indique que le chômage va continuer à augmenter en 2015. Partagez-vous ce sentiment?

Je pense qu’on peut espérer que le chômage se stabilise enfin cette année. Mais au niveau actuel, il me semble difficile de se réjouir de la stabilité. En 2015, le marché de l’emploi devrait profiter de l’alignement un peu inespéré des étoiles de la conjoncture. Je pense surtout à la baisse de l’euro face au dollar et à la faiblesse des cours pétroliers. Au final, on devrait parvenir à un peu plus de 1% de croissance sur l’année. A partir du second trimestre, on pourrait même espérer frôler les 1,5% en rythme annualisé. C’est justement le seuil à partir duquel on considère que l’économie permet de retrouver un solde positif de création d’emplois.

Mais le problème, c’est qu’en France, le chômage dépend très peu de la conjoncture. Sur nos 11% de chômage, 8 ou 9 points sont d’origine purement structurelle. Ils dépendent du fonctionnement de notre marché du travail: sa réglementation, son coût, mais aussi le niveau du smic et la qualité de la formation. Pour cette raison, même si l’activité repartait à la hausse, le taux de chômage bougerait assez peu. Il s’agit en fait d’une excellente nouvelle, car il est nettement plus facile de s’attaquer à un chômage structurel, sur lequel on peut agir à condition d’en avoir la volonté, alors que nos gouvernements n’ont aucune prise sur la conjoncture.

Réformer l’assurance chômage avant 2016, comme semble vouloir le faire Manuel Valls, vous semble-t-il une priorité dans ce contexte?

Ce ne sera pas suffisant pour inverser la courbe, mais cela me semble une bonne idée. Le chômage est devenu en France l’objet d’un débat plus passionnel que rationnel. Il est devenu difficile de parler de notre politique d’indemnisation du chômage, pourtant je suis convaincu qu’une bonne réforme des allocations conduirait à faire baisser le taux de demandeurs d’emploi. Certes les effets demeureraient marginaux, certes ce sera plus difficile à mener en période de chômage élevé, mais notre pays est parmi les plus généreux au monde en la matière. Or, pour être efficace, comme le souligne par exemple Bertrand Martinot dans ses travaux, une politique généreuse va de pair avec un marché souple qui n’existe pas actuellement en France.

Selon vous, de quelles réformes l’emploi français a-t-il besoin en priorité?

A mes yeux, la priorité, c’est le code du travail. En France, nous jouissons du pire système qui soit et qui « judiciarise » à outrance les rapports entre employeurs et employés. Cela part sans doute d’un bon sentiment, mais cela se retourne contre les chômeurs et contre les salariés. Comme le démontrent très bien mes confrères Pierre Cahuc et André Zylberberg dans leur ouvrage (Les ennemis de l’emploi, paru en 2004 aux éditions Flammarion et actualisé en 2015, ndlr), protéger l’emploi ne fait pas baisser le chômage.

Les propositions de Jean Tirole sont également intéressantes. On pourrait imaginer de pénaliser financièrement les entreprises qui licencient beaucoup. Mais la justice, telle qu’elle est pratiquée en France en matière de licenciement, fait peser une incertitude trop forte sur les entreprises et aboutit trop souvent à des jugements imprévisibles, voire ésotériques, qui posent parfois la question de la compétence des juges. Bien sûr, il faut des règles, mais qu’elles soient claires et non aléatoires.

Dans ce registre, « la lucidité habite-t-elle aussi à l’étranger », selon votre expression, et si oui, de qui devrait-on s’inspirer?

Evitons d’aller toujours chercher des exemples en Allemagne ou en Angleterre. En Autriche, en Suisse ou au Danemark, il n’existe pratiquement pas de code du travail et il ne semble pas que l’emploi s’en porte plus mal. La France est aujourd’hui le seul pays, avec l’Italie, à conjuguer un chômage élevé et une absence quasi-totale de réforme d’envergure dans ce domaine. Même l’Espagne et le Portugal, un peu contraints et forcés par un chômage encore plus écrasant, ont fini par s’y résoudre.

Le gouvernement Valls vous semble-t-il avoir les moyens, au plan politique, d’entreprendre les réformes que vous appelez de vos voeux?

Je pense, ou plutôt j’espère, que ce sera le cas. On a déjà vu des gouvernements impopulaires se montrer capables de réformer. Au fond, plus on est impopulaire plus le coût politique de l’audace est faible. Et puis ce serait une très bonne façon de piéger la droite. Regardez la posture de l’opposition depuis l’examen du projet de loi Macron à l’Assemblée. Tout le monde ne sera pas d’accord, mais j’ai trouvé le recours au 49.3 bien inspiré et j’espère que Manuel Valls le refera s’il y est contraint. Quand Nicolas Sarkozy se vante de n’y avoir jamais eu recours, il oublie de préciser que c’est sans doute parce qu’il n’a entrepris aucune réforme d’envergure.

Mais je reste tout de même assez pessimiste. Je vois tout ce qu’on ne fait pas dans ce pays et je sens à quel point la bien-pensance pèse lourd dans les débats importants. Cela vaut aussi bien pour les politiques, pour les syndicalistes, que pour les économistes, les journalistes ou l’opinion.

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