Après Notre-Dame, comment former des artisans ?
A la suite de l’incendie de Notre-Dame, bien des Français ont découvert que nous manquions de charpentiers, de couvreurs, de maçons et de tailleurs de pierre. Il faudrait donc en former des centaines dans l’urgence. Nous sommes pourtant, depuis des années, beaucoup à répéter que ce n’est pas la fin du travail qui nous guette, mais la pénurie de compétences. Ce n’est pas un revenu universel qu’il faut instaurer, mais un marché de l’emploi flexible, avec un système de formation initiale et continue 100 fois plus efficace que l’actuel. De fait, dans les pays de l’OCDE, le taux de chômage est proche de 4% de la population active. Et s’il dépasse les 8% en France, c’est notamment parce que notre économie n’est pas organisée pour inciter les gens à chercher du travail là où les besoins existent, et à faire ce qu’il faut pour changer d’orientation si nécessaire. Selon la dernière enquête de l’Insee sur le bâtiment, plus de la moitié des entreprises interrogées déclaraient éprouver des difficultés de recrutement, soit 10 points de plus qu’à l’accoutumée. On sait que des secteurs peinent à embaucher car ils ne sont pas considérés comme étant assez « attractifs ». C’est le cas du BTP, et c’est pire pour certaines professions, notamment pour les maçons. Le problème prend aujourd’hui des proportions délirantes et affaiblit notre croissance, c’est-à-dire notre prospérité collective.
Muriel Pénicaud, au gouvernement, et Valérie Pécresse, à la région Ile-de-France, ont donc raison de vouloir « profiter » de l’incendie de Notre-Dame pour former des artisans. D’autant que, en théorie, ils sont promis à un bel avenir car ils ne sont menacés, ni par la mondialisation, ni par les technologies de la troisième révolution industrielle, celle de la convergence du numérique, de la robotique et de l’intelligence artificielle. Les métiers du futur seront indissociables de la technologie. Ils associent la tête (la créativité), le cœur (la relation avec des clients) et la main (le savoir-faire). L’artisanat cochent ces trois cases.
Mais attention. Former des artisans oui, mais pas n’importe lesquels et pas dans n’importe quelles conditions car l’économie change vite et le chantier de Notre-Dame ne sera pas éternel. Comme le dit l’économiste Bertrand Martinot, de l’Institut Montaigne, il faut se méfier de la tendance « adéquationniste » quand elle peine à prendre en compte les enjeux de long terme. Déjà, il est très difficile de dire a priori si la restauration de Notre-Dame exigera 492 tailleurs de pierres supplémentaires ou 524. Ensuite, les personnes spécifiquement préparées pour ces travaux devront être conscientes qu’elles seront peut-être obligées de se réorienter dans quelques années. Or, bien que ce point ne soit pas documenté, il semble qu’on forme chaque année, y compris dans l’artisanat, beaucoup de jeunes à des professions en face desquelles, même s’il existe des besoins, il n’y a quasiment pas de marché.
L’idéal serait à la fois de jouer la carte de la polyvalence professionnelle et de solvabiliser le marché de la rénovation du patrimoine pour pérenniser des besoins de main d’œuvre aujourd’hui ponctuels. Ma femme étant vitrailliste, je suis sensibilisé à la dégradation de certains édifices cultuels. Les mairies peuvent trouver des financements. Les villes et les diocèses peuvent travailler en bonne intelligence pour que l’argent venu de fondations complète l’investissement public. Le diocèse de Paris a même accepté avec courage des bannières publicitaires sur l’église de la Madeleine. Certes, le défi de la restauration des églises reste colossal après des décennies de procrastination. Mais voilà de l’investissement qui créé des emplois durables autour d’un objectif consensuel : préserver notre patrimoine.
Article publié dans L’Express du 15 mai 2019