Nationaliser les chantiers navals ? Pas très révolutionnaire…


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16 août 2017

Le bateau de croisière MSC MERAVIGLIA quitte le chantier naval STX de Saint-Nazaire le 1er juin 2017 – afp.com/LOIC VENANC

 

Qu’une décision de politique économique soit applaudie dans la seconde par le Front National et la France Insoumise constitue une première alarme sur sa pertinence. De fait, la nationalisation des chantiers navals STX fait raisonner toutes les mauvaises passions françaises : interventionnisme, protectionnisme, nationalisme, euroscepticisme… Toutes ces lubies adorées par les extrêmes de droite comme de gauche (parfois même par les partis modérés) et qui sont le signe de leur illettrisme économique. Et c’est là le cœur du problème. Peut-être la résolution de l’État – celle de vouloir prendre le contrôle, provisoirement, d’une entreprise et de savoir-faire qu’on veut conserver en France, pour une somme modique (80 millions d’euros) – n’est-elle pas complètement infondée. Mais cette décision est symboliquement problématique, dans la mesure où elle conforte le pays dans ses mauvaises habitudes et nous éloigne un peu plus de la « révolution » proposée par Emmanuel Macron. Cette nationalisation s’accorde avec ce qui fait la marque de la politique industrielle française depuis des décennies : régler des problèmes d’entreprises en les arrosant avec de la dépense publique, avec les résultats que l’on connaît : l’industrie représente moins de 20% de notre PIB (contre 24,5% dans l’Union Européenne comme dans la zone euro).

 

Le drame de la France et de l’Europe est que nous n’ayons aucune entreprise digne de ce nom dans les secteurs qui vont façonner notre siècle

 

Le souci, c’est que la problématique microéconomique de notre pays a changé au tournant des années 2000 et que notre politique industrielle n’en a pas tiré les leçons. La structure des économies développées est bouleversée par deux évolutions qui vont constituer « l’infrastructure » de la société du XXIe siècle : d’une part, une mondialisation qui ne concerne plus seulement les échanges de biens et de services mais la diffusion ultrarapide des connaissances et des idées ; d’autre part une vague de destruction-créatrice portée par les capacités d’innovation de la Silicon Valley et de la Chine, en particulier dans l’intelligence artificielle, la robotique et les biotechnologies. Dans ce contexte, déverser de l’argent public dès qu’une entreprise un tant soit peu emblématique auprès du public et des syndicats connait des problèmes passe complètement à côté du sujet. Le drame de la France et de l’Europe, ce n’est pas que nos partenaires italiens risquent de substituer des emplois transalpins à des emplois français, c’est que nous n’ayons aucune entreprise digne de ce nom dans les secteurs qui vont façonner notre siècle. La France disposerait pourtant d’un excellent terreau : nos écoles, notamment dans le domaine scientifique, sont excellentes, nos territoires sont irrigués par d’excellents incubateurs et il est relativement facile de créer une entreprise et de trouver des financements pour la phase d’amorçage.

 

Simplement, une politique fiscale sur le capital insensée, une application fondamentaliste du principe de précaution et l’absence de marché unique européen du numérique font que nos start-up quittent systématiquement le pays quand elles grandissent, allant créer richesses et emplois ailleurs. Au lieu de faire la pédagogie de ce changement de monde et du bénéfice que la France pourrait en tirer, le Ministre de l’Économie vante son action dans STX, TIM ou GM&S. Pendant ce temps-là, la Chine annonce des investissements et un plan de soutien à la recherche qui devraient faire d’elle le leader de l’intelligence artificielle mondiale en 2030. Le Président Macron devrait être attentif à ce que l’écart entre l’excellente pédagogie de sa campagne électorale autour de l’idée de « start-up nation » et les mesures prises par le gouvernement ne se creuse pas trop. A quoi aurait servi le renouvellement du personnel politique s’il ne se traduisait pas par un renouvellement des politiques publiques ?

 

Article publié dans L’Express du 9 août 2017