Le Mythe de la fin du travail


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15 mars 2017

Alex Domanski/REUTERS

Le pessimisme donne-t-il l’air intelligent ? Cela pourrait expliquer pourquoi la crainte de la fin du travail, aussi vieille que l’humanité, reçoit encore autant de suffrages. Car cette peur est ancestrale. William Lee, l’inventeur de la machine à tricoter des bas, fut éconduit en 1589 par la Reine Elisabeth I à qui il venait quémander un brevet. La Reine lui répondit qu’elle ne pouvait prendre le risque de voir ses sujets s’appauvrir et se constituer en hordes de clochards. Entre 1811 et 1812, 12 000 soldats britanniques durent être dépêchés dans les Midlands pour mettre fin dans le sang à la révolte des luddites briseurs de machines qui craignaient de perdre leur emploi. En 1831, c’est la généralisation des métiers Jacquard dans une conjoncture économique défavorable pour les textiles en soie qui déclencha la révolte des canuts lyonnais. Pendant la crise des années 1930, le maire de Palo Alto (l’actuel cœur de l’innovation mondiale !)) envoyait une lettre au Président Hoover dans laquelle il dénonçait la technologie comme la créature de Frankenstein, sur le point de dévorer la civilisation. En 1997, Jeremy Rifkin s’alarmait de « La fin du travail », donnant à la gauche française des munitions intellectuelles pour orchestrer le passage aux 35 heures. Dans cet ouvrage Rifkin prophétisait à cause de l’informatique « un monde sans travailleur ou presque ».

Keynes lui-même, dans un texte de 1930, soulignait la possibilité d’un « chômage technologique » parce que « l’on découvre de nouvelles façons d’économiser du travail plus rapidement que de nouvelles utilisations de ce travail ». Mais il assurait également que ce phénomène ne pouvait être que transitoire. L’histoire économique a donné raison, sur ce point, à Keynes. D’après le Bureau International du Travail, le taux de chômage mondial en 2016 s’élevait à 5,8% de la population active. En 2000, date de la première statistique disponible, il était de 6,4%. Pourtant, entre 2000 et 2016, la population active mondiale est passée de 2,8 à 3,4 milliards d’individus, portée par la dynamique démographique des pays émergents. Cette moyenne masque-t-elle un chômage technologique massif dans les pays les plus développés ? Apparemment pas. Dans les pays les plus riches, le taux de chômage est passé entre ces deux dates de 6,9% à 6,3%, transitant par un sommet de 8,3% en 2010, lié à la récession consécutive à la crise financière de 2007 et 2008.

Que les angoissés de la fin du travail aient systématiquement eu tort par le passé ne signifie pas, en toute rigueur, que l’avenir ne leur donnera pas raison. Mais cette même rigueur devrait pour le moins conduire à remettre sérieusement en cause leurs prédictions pessimistes. Le plus probable, c’est que le numérique, la robotique et l’intelligence artificielle vont conduire au plus large phénomène de mutation du travail que l’humanité n’ait jamais connu. Mais raréfaction et mutation différent fondamentalement. Dans le premier cas, il faudra instaurer un revenu universel pour que les 15% de happy few qui auront la chance de travailler financent le revenu des 75% qui seront chômeurs. Dans le deuxième cas, il faudra mettre l’accent sur l’efficacité du marché du travail et la formation initiale et continue. Ce qui permettra aussi de résoudre le problème du chômage de masse « non technologique » qui pourrit le climat social français depuis 30 ans.

Article paru dans l’Express du 8 mars 2017.