La Tribune / Réinterpréter le principe de précaution


7 septembre 2015

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Il est de bon ton de réévaluer la période chiraquienne, mais enfin, la nostalgie approximative ne mène à rien. En particulier, la constitutionnalisation du Principe de Précaution fut une funeste erreur et, en l’état, nous allons la payer cher au moment où une immense vague d’innovations, celle des NBIC (nanotechnologie, biotechnologies, information, sciences cognitives) et ses avatars comme l’imprimante 3D et la robotique, venue d’Amérique et d’Asie, va se déverser sur l’Europe.

La constitutionnalisation du Principe de Précaution a été précipitée et ses conséquences de long terme pas sérieusement évaluées. Mesure d’ordre politique, elle a été prise pour satisfaire la demande de protection des Français, apeurés, auxquels Jacques Chirac a répondu comme le conseille Machiavel au Prince : pour gouverner, plutôt que de s’appuyer sur l’appareil d’État, mieux vaut utiliser à ses propres fins les passions du peuple, essentiellement la jalousie et la peur. Aujourd’hui, de nombreux parlementaires de droite regrettent d’avoir voté cette mesure. Qu’ils en tirent des leçons pour l’avenir. Certains voudraient supprimer ce Principe de Précaution mais cette éthique de conviction va se heurter sur le principe de réalité politique.

Mieux vaudrait le « rationaliser » ce qui est juridiquement possible mais demande une évolution des mentalités dans un sens aristotélicien. Aristote distinguait en effet soigneusement la précaution, qui porte que les fins, de la prudence, vertu cardinale qui porte sur les moyens. Le principe de précaution vous dit : ne fais pas de ski. Le principe de prudence vous enjoint de ne pas faire de hors-piste et de skier à une vitesse compatible avec votre expérience.

Une interprétation rigoriste du principe de précaution

La formulation constitutionnelle du principe est en réalité assez imprécise et autorise différentes interprétations, souples ou extrêmes. Dans les faits, c’est le plus souvent une interprétation rigoriste qui est retenue aboutissant notamment au moratoire sur les plantes génétiquement modifiées ou à l’interdiction du bisphénol A, décisions économiquement néfastes et rétrospectivement ridicules.

Grâce à 20 ans de rétrospective sur les cultures à grande échelle, quasiment 15% des terres agricoles utilisées et des milliards de repas servis à travers le monde, la connaissance des risques des plantes génétiquement modifiées sur la santé et l’environnement s’est considérablement améliorée et aucune étude scientifique sérieuse n’a relevé de menace avérée pour la santé et la sécurité des populations. Quant au bisphénol A, l’Agence Européenne pour la Sécurité des aliments a déclaré qu’aux niveaux d’exposition actuels, il est sans danger. Plus amusant (quoique), il est même plus sûr que certains de ses substituts. Pensée magique quand tu nous tiens !

Au regard de ces exemples, il est facile de voir les implications potentielles économiques de l’application rigoriste du principe de précaution. La génétique, les nanotechnologies, la robotique, l’intelligence artificielle sont autant de domaines récents dont l’expérience historique est limitée et dont la connaissance des risques est incomplète. Faut-il pour autant interdire les recherches et l’exploitation industrielle de ces technologies et, ce faisant, tirer un trait sur une puissante vague d’innovations et sur notre croissance future? Évidemment non.

Autrement, nous aurions refusé le moteur à explosion, l’électricité, la médecine moderne, l’aviation ou évidemment le nucléaire, car la connaissance des risques de long terme était également très imparfaite lors des premières utilisations.

Ne pas verser dans l’obscurantisme

Cela ne signifie pas que la régulation publique doive être proscrite au contraire ! Évidemment l’intelligence artificielle présente bien des risques. Mais nous, héritiers du rationalisme grec et des lumières ne devons pas verser dans l’obscurantisme. Interprété à la bougie de la prudence, le principe de précaution ne s’oppose pas à l’innovation et ne promeut pas l’inaction en cas de risques soupçonnés, au contraire. En présence de technologies nouvelles pouvant impliquer des risques mal appréhendés en l’état des connaissances scientifiques et techniques du moment, l’application du principe doit motiver la réalisation de travaux de recherches complémentaires pour lever les doutes et éventuellement déboucher sur une régulation publique.

C’est donc un principe d’action ! L’amélioration des connaissances résultant de la recherche doit permettre de mieux prévenir les risques potentiels et de mieux réagir en cas de menaces avérées. La bonne application du principe suppose donc une accélération de la recherche et une transparence des résultats pour des débats publics objectifs et raisonnés. Retrouvons nos traditions philosophiques pour le progrès économique et social !

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