La Tribune / Le Consumer Electronic Show peut-il tuer le débat sur la croissance ?


12 novembre 2015

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Pendant que les startups du monde entier exposent leurs plus belles technologies au Consumer Electronic Show (CES) de Las Vegas, les économistes continuent le débat du moment : l’innovation peut-elle encore nourrir une croissance soutenue ? D’une part, les tenants de la « Stagnation séculaire » se penchent sur les courbes de productivité pour affirmer que les technologies numériques ont peu d’impact sur la croissance. D’autre part, les partisans de la « nouvelle Renaissance » arpentent le CES et les laboratoires de recherche pour saluer l’avènement d’un bouleversement technologique à l’impact évident sur la productivité.

Les 30 glorieuses ont donné raison à Schumpeter

Les historiens connaissent la scène. En 1946, Harvard organise un débat entre les deux chefs de clan du moment. D’un côté Paul Sweezy, partisan de la stagnation, et de l’autre Joseph Schumpeter, apôtre de la croissance. Les 30 Glorieuses ont donné raison au second et plus personne ne se revendique du premier. La multitude d’objets connectés présentés au CES jouera-t-elle le rôle intellectuel de la machine à laver et de la voiture : lever le débat en faveur de la croissance ?

La digitalisation du monde se structure en trois temps : la culture, l’accès aux services, les objets. Les GAFA ont lancé la première vague : Google pour accéder à l’information, Apple pour écouter de la musique, Facebook pour prendre des nouvelles et Amazon pour lire sur Kindle. Puis ont suivi Netflix et les films, Spotify et le streaming, Youtube et les vidéos. L’accès à la culture et à l’information a été grandement fluidifié et facilité. La consommation culturelle a augmenté (mais souvent via des marchés pirates) et l’internaute a gagné de précieuses minutes. Pourtant, les gains de productivité ont déçu in fine les économistes : le temps libéré par le numérique se compte en minutes quand l’électricité et le moteur à explosion faisaient gagner des jours entiers aux utilisateurs.

 L’accès digital aux services a optimisé les marchés

La deuxième vague a digitalisé l’accès aux services. On réserve un hôtel sur Booking, on prend un covoitureur via Blablacar, on commande un VTC par Uber, on trouve un médecin grâce à Doctolib. La rencontre entre offre et demande est optimisée et des emplois sont créés sur les marchés sous-dimensionnés (comme avec Uber). Les gains se font en termes de temps et d’utilisation du capital. L’ubérisation optimise l’économie existante mais ne crée pas une nouvelle Renaissance avec sa multitude de produits, de services, et son explosion de la productivité tous secteurs confondus.

Le numérique dans l’objet porte les espoirs de croissance

Entre alors en scène le Consumer Electronic Show et la troisième vague digitale : le numérique s’introduit dans l’objet. Le jean sensible de Levi’s, la maison connectée de Panasonic, la voiture autonome de Google ou Mercedes sont à la fois objet et terminal numérique. Le débat entre Renaissance et Stagnation tient à ces nouveaux produits. Vont-ils simplement consommer moins de matières premières, réduire les accidents, optimiser le capital ou créeront-il des pratiques radicalement nouvelles, une vague d’équipement des ménages et des gains sans précédents de productivité ?

Une quatrième vague: la numérisation du corps

Si la grand-messe digitale de Las Vegas ne suffit pas pour lever le débat, une quatrième vague numérique pointe à l’horizon. Des voix s’élèvent pour annoncer la future numérisation du corps humain. Plus résistant, plus prudent, plus protégé, l’homme verrait son espérance de vie s’allonger. Plus concentré, plus efficace, plus travailleur, sa productivité exploserait. Hausse concertée de la quantité de travail et de sa productivité, les équations sont formelles : la croissance serait en plein boom. La victoire définitive de Schumpeter sur Sweezy dépend encore de deux présupposés. Les apôtres des corps numériques ont-ils les capacités techniques de leurs discours ? Les citoyens veulent-ils de cette quatrième vague ? Vivement un Human Electronic Show pour en débattre.