Il est où le bonheur, il est où ? … en Norvège ?


30 août 2017

 

La maison que j’ai louée cet été se trouve sur l’ile d’Osteroy. En plein mois d’août, il y fait 12 degrés et, souvent, il pleut. Pour acheter une bouteille de rosé (très chère), il faut se rendre dans un magasin Vinmonopolet, la chaine d’État qui détient le monopole de la distribution des spiritueux supérieurs à 4,75 degrés d’alcool. Quand j’ai demandé à la propriétaire de mon cottage la clé du garage à vélo, elle m’a dit que je n’en avais pas besoin puisque, « dans ce quartier, il n’y a pas eu de cambriolage depuis 100 ans ». Ce territoire, plus grand que l’Allemagne, ne compte que 5,2 millions d’habitants. Bienvenue en Norvège, le pays le plus heureux du monde selon le World Happiness Report de l’ONU. La Norvège y devance le Danemark, l’Islande et la Suisse, preuve que vivre dans un pays froid aux longues nuits d’hiver est supportable.

« L’économie du bien-être » s’est considérablement développée ces dernières années, notamment pour résoudre le « paradoxe d’Easterlin ». En 1974, l’économiste Richard Easterlin avait souligné que l’augmentation du PIB d’un pays ne se traduisait pas nécessairement par une hausse du bien-être de ses habitants, pour deux raisons : d’une part, les individus ont tendance à s’adapter à l’amélioration de leur situation matérielle, et donc à en demander toujours plus ; d’autre part, l’amélioration de la situation des uns rend les autres jaloux. Finalement, selon Easterlin, la croissance économique est une course puérile qui n’apporte pas l’essentiel.

Depuis 1974, les recherches en économie du bien-être ont infirmé le paradoxe d’Easterlin, et c’est ce qu’illustre le cas norvégien. On sait désormais que les revenus importent, comme l’espérance de vie, la qualité des relations sociales, la générosité des habitants, la liberté et la confiance dans les institutions. Dans ces domaines, la Norvège brille. Le PIB par habitant y est le deuxième du monde, derrière le Luxembourg ; l’espérance de vie à la naissance dépasse 82 ans ; la taille de l’État-providence n’empêche pas la dette publique d’être faible ; la corruption et l’insécurité sont quasiment inexistantes. Certes, la rente pétrolière continue d’apporter d’abondants revenus et emplois aux Norvégiens. Mais une source de pétrole n’est pas forcément une source de bien-être comme le savent les Vénézuéliens, les Algériens ou les Iraniens. Pour parfaire ce tableau, 98% de l’électricité produite dans le pays est d’origine renouvelable, essentiellement hydraulique.

Le Président Macron doit-il s’inspirer du paradis norvégien pour faire de notre pays l’un des plus heureux au monde ? Ce n’est pas si simple. La Norvège a aussi ses problèmes, comme l’alcoolisme, un fléau de santé publique malgré les taxes et la réglementation de la distribution. En outre, la Norvège est plus facile à diriger que la France. L’état d’esprit reste fortement empreint de protestantisme, ce qui autorégule la société, les comportements un tant soit peu déviants étant prohibés par le contrôle social. La France est en outre un acteur central de la politique étrangère dans le monde, et a fortiori en Europe, ce qui n’est pas le cas de la Norvège.

Surtout, la politique publique ne doit pas viser le bonheur des individus mais le rendre possible. Le rôle de l’État, en France, comme en Norvège, est de permettre aux gens de réaliser leur vie. Flexibiliser le marché du travail, renforcer la formation professionnelle, mettre à niveau l’éducation primaire, solvabiliser l’État-providence, combattre le terrorisme : voilà ce que le Président Macron peut faire de mieux pour la qualité de vie des Français. Leur bonheur individuel, c’est à eux de s’en occuper. C’est d’offrir à leurs habitants la possibilité d’être heureux qui fait la grandeur des démocraties libérales.

 

Article publié dans L’Express du 23 août 2017