Hépatite C : l'erreur de la focalisation sur le prix


Hépatite C
20 janvier 2015

Lire l’article sur le blog de la Fondapol.

Le débat sur l’hépatite C fait passer la question du prix des médicaments au premier plan. Ce qui est à la fois légitime et insuffisant. C’est légitime car les dépenses de médicaments en France s’élèvent à 35 milliards d’euros (remboursés à 70% par l’assurance-maladie) alors que le déficit de la branche maladie en 2014 avoisinera les 7,5 milliards d’euros. C’est légitime également car des cures à plusieurs dizaines de milliers d’euros comme dans le cas de l’hépatite C peuvent sembler de prime abord plus qu’onéreuses. C’est d’ailleurs le sentiment des médecins qui, dans ce combat, sont en pointe, mais sans pousser l’analyse assez loin (à la limite, les associations de patients ont un diagnostic plus fin sur ce sujet). Ce débat n’en est pas moins insuffisant car la focalisation sur le prix passe à côté de l’essentiel du sujet.

Posons donc le problème rationnellement en gardant à distance le sentiment passionnel de l’indignation. Le sujet est le suivant : la thérapeutique connaît aujourd’hui une révolution qui va entraîner une hausse des dépenses de médicaments pour deux raisons. Première raison : ces médicaments doivent amortir des coûts de recherche et développement très élevés qui sont la condition de leur efficacité thérapeutique. Deuxième raison : ces médicaments étant efficaces, leur taux de diffusion est donc fort. Dans le cas de l’hépatite C, l’objectif est de soigner les 400 000 malades ce qui représente un coût de plusieurs milliards d’euros en tous cas si l’on veut respecter la contrainte imposée par notre contrat social : éviter le tri des patients.

Avant d’apporter les réponses, précisons deux choses. D’une part, ces médicaments sont nouveaux. Il est donc impropre de parler d’inflation des médicaments. En effet, l’inflation résulte de la comparaison de prix du même bien entre deux périodes. Expliquer que le prix des médicaments contre l’hépatite C ou le cancer augmente revient à dire que le prix d’une Tesla électrique avec pilote automatique est plus élevé que celui d’une 4L. Cela n’a pas de sens. D’autre part, dans cette affaire, les laboratoires ont moins de marge de manœuvre qu’il semble. En France notamment, leur client final est quasiment unique : il s’agit de l’assurance maladie. Cette situation de monopole inversé est plutôt à l’avantage des pouvoirs publics d’autant que, dans le cas de l’hépatite C, plusieurs laboratoires sont en concurrence. Dans cette situation d’oligopsone, la théorie économique nous indique que le prix d’équilibre est inférieur à une situation de concurrence, c’est-à-dire de confrontation d’un grand nombre d’offreurs à un grand nombre d’acheteurs, et évidemment très inférieur à une situation de monopole.

Abordons les solutions maintenant. Elles sont de deux ordres. Il est sans doute possible d’améliorer le système de fixation des prix notamment en différenciant les tarifs des cures en fonction de l’état des patients. Un même médicament a un impact plus fort pour certains patients que pour d’autres. Son prix doit donc être plus élevé pour ceux qui en ont le plus besoin et moins pour les autres. Les économistes parlent d’efficience et les spécialistes du marketing e yield management.

Ceci-dit, l’action sur les prix ne pourra qu’être limitée. Prenons l’exemple de l’oncologie.

La révolution des thérapies ciblées et de l’immunothérapie commence à augmenter les durées médianes de survie sur des pathologies considérées jusqu’alors comme mortelles à brève échéance. Or l’on parle bien de cancer, c’est-à-dire d’une maladie dont l’incidence est beaucoup plus importante que l’hépatite C ou le VIH. La « demande sociale » pour les meilleurs traitements est donc fortes puisque chaque français est, directement ou indirectement (via l’un de ses proches) concerné. Or 90% des ces nouveaux médicaments anti-cancers ont un prix de cure supérieur à 100 000 euros en raison des coûts énormes de R&D. Une diminution de prix de 20% nous ramène à 80 000 euros, ce qui reste énorme. Ce que nous voulons dire, c’est que nous n’échapperons pas à une hausse rapide des dépenses de santé ces prochaines années, à cause ou plutôt grâce à cette prodigieuse révolution thérapeutique. Tout ceci signifie que le sujet est systémique. Si l’on considère que la prise en charge de ces maladies graves relève de la solidarité, et qu’elle doit donc être publique, il va falloir réduire drastiquement les dépenses ailleurs. Ce à quoi nous oblige à réfléchir le débat sur l’hépatite C, c’est à l’amélioration de l’observance des médicaments, à la diminution de la prise excessive de médicaments, à l’augmentation de la productivité de la médecine de ville et de l’hôpital, c’est-à-dire à l’amélioration globale de l’efficience du système. Nous pouvons ne pas le faire. Le système s’ajustera alors de lui-même par le tri des patients, à l’encontre de nos valeurs.

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